mercredi 17 mars 2010

F.-Machine (III)

Le passé me dévore.
L’histoire n’est belle que racontée.
Il n’y a rien de plus vil sur la terre qu’un mauvais artiste, qu’un gredin qui côtoie toute sa vie le beau sans jamais y débarquer et y planter son drapeau.
L’idée de donner le jour à quelqu’un me fait horreur. Je me maudirais si j’étais père. Un fils de moi, oh non, non, non ! que toute ma chair périsse, et que je ne transmette à personne l’embêtement et les ignominies de l’existence.

J’abandonne la sale auberge de mon corps maçonné de chair rougie de sang, couverte d’une peau hideuse, pleine d’immondices ; et, pour ma récompense, je vais enfin dormir au plus profond de l’absolu, dans l’anéantissement.
C’était un déversoir ; je n’ai eu que du plaisir à l’écrire et les dix-huit mois que j’ai passés à en écrire cinq cents pages ont été les plus profondément voluptueux de ma vie.
De cela, comme du reste, je ne jouis que par ma fenêtre.
Te rendre heureuse ! ah, pauvre Louise, moi, rendre une femme heureuse.
C’est la troisième vérole qu’il attrape depuis que nous sommes en route.
Je grossis, je deviens bedaine et commun à faire peur. Je vais rentrer dans la classe de ceux avec qui la putain est embêtée.
Le paradis en ce monde se trouve sur le dos des chevaux, dans le fouillement des livres ou entre les seins d’une femme.
Je suis tout bonnement un bourgeois qui vit retiré à la campagne, m’occupant de littérature et sans rien demander aux autres, ni considération, ni honneur, ni estime même.
Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, ni un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d’une femme nue me fait penser à son squelette.
Rien ne m’exciterait comme une momie.
Je suis né avec un tas de vices qui n’ont jamais mis le nez à la fenêtre. J’aime le vin, je ne bois pas, je suis joueur et je n’ai jamais touché une carte. La débauche me plaît et je vis comme un moine. Je suis mystique au fond et je ne crois à rien.
Dans l’antichambre, debout sur un tas de vêtement, se tenait une fille publique, en statue de la Liberté, immobile, les yeux grands ouverts, effrayants.
L’aristocratie eut les fureurs de la crapule, et le bonnet de coton ne se montra pas mois hideux que le bonnet rouge.
Je voudrais faire des livres où il n’y eût qu’à écrire des phrases (si l’on peut dire cela), comme pour vivre il n’y a qu’à respirer de l’air.
Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sas attache extérieure, qui se tiendrait par la force interne de son style, comme la terre, sans être soutenue, tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela peut.
Tu sais que c’est un de mes vieux rêves d’écrire un roman de chevalerie. Je crois cela faisable, même après l’Arioste, en introduisant un élément de terreur et de poésie qui lui manque.
De sorte que, pour ne pas vivre, je me plonge dans l’Art, en désespéré.

Tout ce qui est de la vie me répugne. J’ai en moi, au fond de moi, un empêchement radical, intime, âcre et incessant qui m’empêche de rien goûter et me remplit l’âme à crever.
Nous ne souffrons que d’une chose : la bêtise. Mais elle est formidable et universelle.
Un livre est pour moi une manière spéciale de vivre. A propos d’un mot ou d’une idée, je fais des recherches, je me perds dans des lectures ou des rêveries sans fin…
Enfin, je tâche de bien penser pour bien écrire. Mais c’est bien écrire qui est mon but, je ne le cache pas.
Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu’ils m’inspirent.
Je ne voudrais pas crever avant d’avoir déversé encore quelques pots de merde sur la tête de mes semblables.
Je désire cracher encore des cuves de bile sur la tête des bourgeois.
Il me monte de la merde à la bouche (…) j’en veux faire une pâte dont je barbouillerai le dix-neuvième siècle.
(le genre humain), une vaste association de crétins et de canailles (…) j’aime à voir l’humanité et tout ce qu’elle respecte, ravalé, bafoué, honni, sifflé.
Nous allons entrer dans une ère stupide. On sera utilitaire, militaire, américain et catholique.
L’immortalité de l’âme a été inventée par la peur de mourir ou par le regret des morts.
Je la connais, je l’étudie. C’est là l’ennemi, et même il n’y a pas d’autre ennemi. Je m’acharne dessus dans la mesure de mes moyens (…) mon sujet me pénètre.
Quand une fois on a baisé un cadavre au front, il vous en reste toujours un arrière goût de néant que rien n’efface.
Il s’est trouvé que mon organisation est un système ; le tout sans parti-pris de soi-même, par la pente des choses qui fait que l’ours habite les glaces, que le chameau marche sur le sable.
Je n’ai devant moi aucun autre horizon que celui qui m’entoure immédiatement. Ma vie est un rouage monté qui tourne régulièrement. Ce que je fais aujourd’hui, je le ferai demain, je l’ai fait hier. J’ai été le même homme il y a dix ans.
Si je n’avais dans la tête et au bout de ma plume une reine du XVème siècle , je serais totalement dégoûté de la vie et il y aurait longtemps qu’une balle m’aurait délivré de cette plaisanterie bouffonne qu’on appelle la vie.

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