dimanche 6 novembre 2011

The End

Le "6 mars" était ma maison, notre maison. Aujourd'hui cette maison n'a plus de raison d'exister. Ceci est donc le dernier message à paraître.

Je remercie chaleureusement celles et ceux qui pendant deux ans ont suivi avec fidélité ce blog.

mercredi 2 novembre 2011

we can be heroes






Robert Duncan
(1919-1988)

"Comme s'il s'agissait d'une construction de l'esprit
qui n'est pas mien, mais mienne
construction, si proche du coeur
pré éternel dans le repli de toute pensée
en sorte qu'une salle s'y déploie
construction née de la lumière
d'où les ombres qui sont formes s'écroulent"
(trad. Yves di Manno)

mardi 1 novembre 2011

poème épik


a)
Je rêvais
Je me rêvais
Je me rêvais autre
Changer de nom, changer de peau
Apparaître, scintiller, disparaître :
Comme ça (souffle sur les doigts qui s’ouvrent)
Evidemment honorable.

b)
Je me rêvais écrivain poète poète américain
            Oui pourquoi pas
            Pas lyrique pour un sou
            Même si un peu sentimental
            « au fond j’ai toujours été un sentimental »
            Pas lyrique pour un sou – ou deux
            Mais oui peut-être
            Épique
            Oui

c)
Je me rêvais  écrivain poète poète russe
            Oui pourquoi pas
            Je traçais des hiéroglyphes
            J’allumais une cigarette
            Et les volutes partaient en fumée
            Pas lyrique – non toujours pas – juste
            Sentimental
            « au fond… »

d)
Je me rêvais écrivain
            Perdu comme tout
            Écrivain
            Épique
J’aimais les histoires anciennes les chevaliers les épées les armures et tout le tralala qui va avec
            La panoplie de l’épique

e)
Je lisais et je pensais là je suis ; et j’étais
Là je suis, là je suis, là je suis
J’y étais – j’étais – je fus – je
Le suis encore

f)
je rêvais ce que je comprenais
je rêvais de ce que je comprenais
je me rêvais et je me comprenais
je comprenais ce que je rêvais
je comprenais que je rêvais



lundi 17 octobre 2011

blanche-rose et rose-rouge


Nous sommes deux sœurs jumelles, on pourrait commencer l’histoire, cette histoire en chantant cette chanson. Nous sommes deux sœurs et je m’appelle Blanche-Rose et je m’appelle Rose-Rouge. Notre mère est une veuve qui vit dans une maison coquette. Elle nous a appelées comme ça, notre veuve de mère car nous ressemblons aux boutons des deux rosiers sauvages, l’un blanc, l’autre rouge, qui croissent en son jardin.
Nous sommes des enfants bonnes, sages, travailleuses et vaillantes ; nous nous aimons de tout notre cœur. Quand je murmure : " Nous nous aimerons ", je réponds : " Toute notre vie " et notre mère, notre veuve de mère ajoute : " Ce que l’une aura, elle le partagera avec l’autre ". Et quand elle dit cela notre mère, notre veuve de mère, nous ne pouvons nous empêcher de sourire car je pense à la même chose que celle à laquelle je pense aussi.
Ensemble, nous allons au petit bois cueillir des fraises ; les animaux de la forêt nous connaissent bien. Le lièvre vient en boule rouler à nos pieds et grignoter la carotte que nous lui  apportons. Les cerfs nous égaient de leurs bondissements majestueux et les oiseaux, au faîte des arbres, pépient et chantent à gorge déployée. Quand nous nous attardons dans la forêt et que la nuit nous surprend, nous couchons l’une contre l’autre sur la mousse odorante, et nous endormons jusqu’au matin. notre mère, notre veuve de mère,  ne se fait pas de souci car elle sait que nous ne risquons rien.
Nous aimons tant notre maison que nous la soignons à longueur de journée. A la saison d’été, je  fais le ménage et dépose tous les matins, avant que ma mère, ma veuve de mère, ne se réveille, un bouquet de roses blanches et de roses rouges. A la saison d’hiver, c’est moi qui entretient l’âtre où brille la marmite de cuivre pendue à la crémaillère.
Or, un soir d’hiver :
- Blanche-Rose, va mettre le verrou, dit ma mère, ma veuve de mère.
Puis elles s’assoit près de la cheminée, met ses lunettes et commence un conte. Nous écoutons en filant. A nos pieds, un mouton, la tête entre les pattes, se chauffe, et les colombes sur leur perchoir roucoulent encore un peu avant de mettre la tête sous l’aile.
Tout à coup, on frappe à la porte.
- Va vite ouvrir, Rose-Rouge, dit ma mère, ma veuve de mère ; un homme, peut-être, veut s’abriter.
Nous rougissons, et je pense à la même chose que celle à laquelle je pense aussi.

Je tire le verrou, et un gros ours brun passe la tête dans l’entrebâillement de la porte. Je suis  affolée, je me jette derrière le fauteuil de ma mère, ma veuve de mère,  et moi je me cache derrière le lit. Le mouton est paralysé de terreur, et les colombes volettent de tous les côtés.
- Que craignez-vous ? Je ne veux de mal à personne, j’ai surtout si froid ...
- Viens, mon pauvre ours, dit ma mère, ma veuve de mère. Viens te coucher près du feu. Blanche-Rose et Rose-Rouge, sortez de vos cachettes, petites peureuses.
Tranquillisées, nous nous approchons. Le moutons et les colombes aussi ...
- Chères enfants, retirez-moi cette neige de ma fourrure.
Avec une brosse, nous lissons le pelage épais du gros ours brun qui s’étend devant l’âtre en grognant de plaisir. Ayant perdu toute peur et toute timidité, nous nous amusons à l’envi avec notre nouvel ami. Il est lourd et pataud. Nous lui tirons les poils, enfonçons nos petites mains dans la fourrure chaude comme un nid, ou bien, avec une baguette, nous le taquinons. De temps en temps, lorsque nous y allons un peu trop fort et partons d’un grand éclat de rire, il grogne :
- Blanche-Rose, Rose-Rouge, ne tuez pas votre fiancé.
L’heure du coucher sonne à la vieille horloge ; nous nous en allons au lit sagement. Notre mère, notre veuve de mère, dit à l’ours :
- Reste là si tu veux, près du feu. Il fait trop froid dehors.
A l’aurore, il s’en retourne dans les bois d’où il est venu. Les jours qui suivent, ponctuellement, l’ours revient au logis. Nous ne fermons plus la porte avant qu’il ne soit revenu se coucher devant l’âtre où nous  jouons ensemble des heures durant.
Quand le printemps reverdit toutes les plantes, tous les arbres, l’ours dit adieu à ses amies pour aller vivre tout l’été dans la forêt.
- Mais pourquoi donc ? je m’étonne.
- Pour empêcher que les méchants nains ne volent mon trésor. L’hiver, la terre est gelée, les nains ne peuvent sortir des profondeurs de leurs grottes. Au printemps, le soleil réchauffe et dégèle le sol. Ils vont sortir, venir me piller, et ce qu’ils dérobent, on ne le retrouve jamais.
Nous nous résignons à notre chagrin. En passant dans l’ouverture de la porte, l’ours accroche au loquet un morceau de son pelage. Je crois voir briller sous la peau l’éclat de l’or, mais l’ours s’enfuit ...
Quelques semaines après, tandis que nous allons ramasser du petit bois dans la forêt, nous rencontrons, sur un arbre abattu, un nain tout ridé dont la longue barbe blanche est prise dans une fente. Il saute de droite et de gauche sans pouvoir se tirer de ce mauvais pas.
- Pourquoi me regarder de la sorte ? vous feriez mieux de m’aider, nous lance-t-il.
- Que fais-tu là ? je réplique.
- Sotte que tu es ! Curieuse ! En coupant du bois en très petits morceaux, j’ai coincé ma belle barbe. Me voilà bien pris ! Je ne peux plus m’en aller ! Cela vous fait rire, visages de cire ! Fi donc ! Comme vous êtes vilaines !
- Je cours chercher de l’aide, je m’exclame.
- Tête de linotte ! grogne le nain. N’êtes-vous pas assez grandes pour me tirer de là ?
- Prenez patience, je dis en fouillant dans mes poches.
J’exhibe une paire de ciseaux et me met à couper le bout de la barbe.
A peine libéré, le nain prend le sac caché entre les racines de l’arbre et ronchonne :
- Qu’elles sont stupides ! Avoir coupé ma si belle barbe !
Il jette le sac sur ses épaules et s’en va sans un mot de remerciement.
A quelque temps de là, nous voulons pêcher des poissons. Nous allons nous installer près du ruisseau, quand, sur la rive, nous apercevons, qui saute dans tous les sens, une sorte de grosse sauterelle. En s’approchant, nous reconnaissons le nain. Étonnée, je le questionne :
- Veux-tu sauter dans le ruisseau ?
- Sotte, je ne suis pas si bête. Mais voyez ce poisson de malheur ...
Le nain en pêchant a pris sa barbe dans la ligne ; un poisson énorme pris à l’hameçon va entraîner la faible créature qui n’a pas la force suffisante pour se tirer d’affaire. Il se cramponne à toutes les tiges, à tous les brins d’osier, mais il ne peut plus lutter. Barbe et fil sont si entremêlés que la seule solution est de couper un peu plus la belle barbe blanche. Libéré, le nain s’écrie :
- Mes pauvres filles, vous êtes toujours aussi sottes et laides ; me voilà dans un bel état !
Puis, ramassant un sac de perles fines dissimulé dans les roseaux, il disparait derrière une pierre.
Quelques jours passent. Notre mère, notre veuve de mère,  a besoin de fil, d’aiguilles, de dentelles et de rubans ; elle nous envoie à la ville, chez la mercière. Le chemin que nous devons prendre passe par une clairière semée de rochers. Comme nous l’atteignons, nous voyons dans le ciel un grand oiseau qui tournoie lentement, dans un long vol plané. Soudain, il s’abat sur le sol. Nous entendons un cri de douleur.
ARGHHHHHHH … (ou quelque chose comme cela, en fait)

Nous nous approchons et nous reconnaissons avec effroi notre vieille rencontre, le nain, qu’un aigle a saisi dans ses serres et va emporter. Courageusement, car nous sommes courageuses, nous nous saisissons d’un bâton et nous précipitons à son secours. Nous nous battons tant et tant pour arracher le petit homme aux serres de l’oiseau qu’à la fin, nous gagnons. Nous sommes si courageuses, de vraies guerrières, voilà ce que nous sommes.
Tout juste remis de sa peur, le nain glapit :
- Vous avez déchiré mon bel habit. Vous êtes toujours aussi sottes et maladroites, et toujours aussi laides, tout juste bonnes pour aller au diable !
Chargeant alors sur son dos un sac de pierres précieuses qui se trouve derrière un gros rocher, il se faufile dans une crevasse ouverte dans le sol. Habituées à cette ingratitude, nous ne nous émouvons pas outre mesure, et continuons notre chemin jusqu'à la ville.
Le soir, en revenant, nous prenons le même sentier qu’au matin ; nous  surprenons le nain en contemplation devant les pierres précieuses qu’il a vidées de son sac et qui éclatent de mille feux aux lueurs du couchant. Emerveillées, nous nous arrêtons :
-Vous ne savez que bayer aux corneilles, décidément ! jette le nain, tout rouge. Partez d’ici !
Et, tandis qu’il crie sa colère, un grand ours brun sort pesamment des buissons.
Le nain, fou de terreur, fait un saut en arrière en hurlant :
- Monsieur l’ours, laissez-moi la vie ; je vous donne toutes ces pierres précieuses. Je suis tout petit, si chétif. Voyez ces deux fillettes, grasses comme des oies. Elles feront bien mieux votre affaire.
D’un seul coup de patte, sans autre forme de procès, l’ours supprime le méchant nain pour toujours. D’un coup de patte bien placé, il décapite le petit bonhomme, et fait rouler sa tête bien loin. Le corps du nain s’écroule en silence. Nous sommes affolées, nous allons nous enfuir quand l’ours murmure :
- Blanche-Rose, Rose-Rouge, je suis votre ami.
Au son de cette voix connue et aimée, nous nous retournons. Quel étrange spectacle ! La peau de l’ours tombe lentement et, sur le pelage qui faisait un tapis, se dresse un bel homme tout d’or vêtu.
J’en étais sûre, j’en étais sûre aussi, je pensais à ce que tu pensais, aussi, oui, je le pensais.

-Je suis fils de roi, explique-t-il. Ce maudit nain m’a jeté un sort en volant mes trésors. J’étais condamné à courir les bois sous la forme d’un ours sauvage jusqu'à ce que sa mort me délivre. Il a reçu le châtiment qu’il méritait ...
Nous épousons le prince. " Ce que l’une aura, elle le partagera avec l’autre ". Nous partageons l’immense trésor que le nain a amassé et vivons ainsi dans l’opulence. Un charmant couple à trois.  Notre mère, notre veuve de mère,  devenue vieille, est invitée à venir vivre au milieu de ses enfants et petits-enfants. On transplante dans le jardin du palais royal les deux rosiers qui ont vu grandir les fillettes et ils donnent des roses plus belles d’année en année.

vendredi 7 octobre 2011

tout ce qui va suivre...

Tout ce qui va suivre n’est qu’en lointain rapport avec notre monde et nos habitudes – je pourrais dire nos mœurs, nos coutumes. Tout ce qui va suivre n’est pas sans rapport avec notre monde et nos habitudes. C’est et ce n’est pas. C’est entre les deux. Indécidable. C’est et ce n’est pas. On pourra chercher les points communs, les points de ressemblance. C’est une possibilité. C’est un jeu possible. Il ne sera pas vain pour celui qui en tirera un amusement. Il le sera, par contre, pour celui qui, tel un détective privé, essaiera d’y trouver des indices lui permettant d’établir un rapport sur la psychologie (ou les pathologies) de l’auteur. Car il n’y a pas d’auteur. Mais des auteurs. Il n’y a pas une histoire. Mais des histoires. Comme si on pouvait faire la psychobiographie des frères Grimm à la lecture des Contes. De leur Deutsches Wöterbuch ou de leur Deutsche Grammatik je ne dis pas, c’est sans doute très possible.


Tout ce qui suit n’est que l’anticipation de ce qui est impossible à anticiper. Tout ce qui suit n’est pas une anticipation, c’est arrivé.


On n’est jamais seul, on ne pense pas seul, on n’écrit pas seul, on ne fait pas une œuvre d’art seul. On est toujours plusieurs. Pas d’imagination d’un artiste, mais la rencontre d’artistes, qui même s’ils ne se connaissent pas personnellement, se rencontrent à un moment donné. Et pas besoin de la présence physique de l’autre, les traces laissées sont suffisantes. On n’invente pas, on n’invente rien, jamais, on n’invente plus. On dyspose.


On prend les devants avec l’irreprésentable ; on ruse pour rester en contact avec ce qui est étranger à la représentation – et pourquoi pas, avec l’ordre symbolique en général – une anticipation de ce qui ne peut pas être anticiper, de ce que l’on ne pourra jamais vraiment anticiper, mais qui, une fois accomplie, simplifiera la monde. L’événement du monde, tout ce qui lui arrive, et à propos de quoi, un énoncé prend forme, l’enveloppe, si bien que l’on ne sait plus qui est qui, quoi est quoi, de l’événement et de l’énoncé : il ne reste que cette forme monstrueuse, que l’on nomme œuvre d’art.

jeudi 6 octobre 2011

le monde est le monde

à ...


L’envie-de-toi est un monde, l’envie-de-toi justifie le monde, l’envie-de-toi est tout un monde, l’envie-de-toi est mon monde et est ton monde, l’envie-de-toi est notre monde, le monde entier qui tourne, qui bouge, qui se meut, n’existe que par l’envie-de-toi, n’existe et n’est possible que parce que j’ai envie de toi, là maintenant tout le temps et le soir et le matin tout le temps, l’envie-de-toi est notre monde, je parle de monde, du monde, du monde et rien d’autre, du monde qui est le monde et qui n’est rien d’autre, du monde car il n’existe rien d’autre, que le monde, le monde et l’envie-de-toi, c’est tout, c’est aussi simple que ça, rien de plus, rien de moins, l’envie-de-toi entière et simple, comme le monde, simple comme notre monde et l’envie-de-toi qui ne projette rien, qui n’est le phantasme de rien, qui est juste l’envie-de-toi, qui est une force et une envie, une l’envie-de-toi là tout de suite et maintenant qui est un monde, qui justifie le monde, qui est tout un monde, qui est mon monde et est ton monde, qui est notre monde, le monde entier qui tourne, qui bouge, qui se meut, n’existe que par l’envie-de-toi, n’existe et n’est possible que parce que j’ai envie de toi, là maintenant tout le temps et le soir et le matin tout le temps et le soir et le matin, …

mercredi 5 octobre 2011

Mémoires de Simon Melmoth...

J'ai donc entrepris aujourd'hui de raconter le mythe de ma vie. Mais je ne puis faire que des constations immédiates, " raconter des histoires". Sont-elles vraies ? Là n'est pas le problème. La question est celle-ci : est-ce mon aventure, est-ce ma vérité ?
Déployer plusieurs mondes possibles de langues.  (…) une façon sans espoir, frénétique, mais joyeuse, de tâcher d’imposer une forme, une taxinomie, à l’expérience trop vaste d’exister.
Pour en revenir à cet âge, entre ma petite enfance et mes quatorze ans, et à la légende, je fus une légende. Comme tous les enfants.
Tu sais que c’est un de mes vieux rêves d’écrire un roman de chevalerie. Je crois cela faisable, même après l’Arioste, en introduisant un élément de terreur et de poésie qui lui manque.
La femme orientale est une machine, et rien de plus ; elle ne fait aucune différence entre un homme et un autre homme.
La périphrase ; la périparaphrase. Donc le ralenti dans l’accéléré, le frein de l’éclair.
Nous ne savons pas affronter l’insupportable sans avoir recours à quelque idéal ou poudre de perlimpinpin. Comment nous en vouloir ? Nous sommes tellement gauches, tellement imparfaits. Seules les fictions donnent du courage et aide à survivre.
Apprendre à nager quoi "Ah je sais nager". Personne ne peut nier que savoir nager c’est une conquête d’existence, c’est fondamental, vous comprenez moi je conquiers un élément, ca va pas de soi, conquérir un élément. C’est nager, c’est voler, voila tout ça c’est formidable. Bon qu’est-ce que ca veut dire ? Ben c’est tout simple, pas savoir nager c’est quoi ? c’est vraiment être à la merci de la rencontre avec une vague.
La neige est blanche, si et seulement si la neige est blanche.
À la sortie, présentations diverses. "Avec vous, on ne peut plus se présenter", me dit une jeune Américaine (je crois). Elle me fait comprendre qu’elle avait lu (avant moi, donc, elle arrivait des États-Unis) Moi, la psychanalyse où je laisse jouer, en anglais, le vocabulaire si difficile à traduire de la présentation, des présentations, des "introductions", etc. Comme j’insistais pour savoir son nom, elle m’a dit "Métaphysique" et s’est refusée à ajouter un seul mot. J’ai trouvé ce petit jeu assez fort et j’ai senti à travers l’insignifiante frivolité de l’échange qu’elle était allée assez loin (on m’a dit ensuite qu’elle était "germaniste")
Les pères ne sont même pas dignes du mépris de leurs enfants.
Quant au rayonnement de son œuvre il fut comme il se doit essentiellement posthume.
Il a simplement pris une option sur toutes nos idées.
Il apparaît maintenant que la véritable situation ne soit pas celle qui a été écrite dans les pages précédentes ; que la situation que je vis ne soit pas celle que je crois vivre.
Ce qui paraît n’est presque jamais la vérité.
J’ai rêvé de ce bordel de femmes aveugles que j’ai visité à Calcutta.
Jamais cour n’a eu tant de belles personnes et d’hommes admirablement bien faits, et il semblerait que la nature eût pris plaisirs à placer ce qu’elle donne de plus beau dans les plus grandes princesses et dans les plus grands princes.
Qui n’aurait en horreur de recommencer son enfance et ne préfèrerait mourir si le choix lui était donné ? Qui aurait à cœur de souhaiter de nouveau au terme de ses jours le renouvellement de sa chute ? Le recommencement de la Ruine du Paradis dans le Temps ? La scène du pêché originel ? La damnation de Dieu ?
Nous avons tous de ces légendes que nous subissons.
Des fois ça arrive au point que je dois entrer les doigts et retirer l’étron. Dur comme de la porcelaine, tu comprends c’est extrêmement douloureux.
je suis d’avis que ma vie privée ne regarde personne.
Il ne supportait pas son côté Marie-goes-to-sex-shop.
Gunnar annonce aux Huns qu’il ne leur dira où se trouve le trésor des Niflungen qu’à la condition qu’ils arrachent le cœur de Hogni, son frère. Ils s’exécutent (…) Et Gunnar leur dit qu’il est le seul maintenant à détenir le secret, qu’il n’a plus peur et qu’il ne dira rien.
Mettons de l’ordre dans toute cette absurdité européenne et par une sorte d’éclat de rire historique.
Au moment même où l’avant-scène est occupée par le discours qui oppose l’histoire qu’on enseigne et l’histoire secrète, le récit laisse apparaître sa propre trame secrète – visible, mais à peine dite, et qui ne sera vraiment compréhensible qu’au regard rétrospectif, dans un retour sur le passé.
Si l’on ne trouve pas surnaturel l’ordinaire, à quoi bon poursuivre ?
Tout ce qu’on souhaite n’arrive pas.
L’adolescence n’adore ni artiste ni œuvres mais seulement des alternatives à la famille.
Ce que j’écris n’est pas pour les petites filles /Dont on coupe le pain en tartines.
Cela commence comme ça et cela finit dans une petite maison qui sent le renfermé et la résignation.
Allons donc ! tous oisifs ! tous putains et tous souteneurs.
La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin !
Mieux vaut, comme je le fais ne pas quitter la condition des choses.
la marionnette peut mourir plusieurs fois, ressusciter, souffrir au delà de toute limite. Elle est capable d’exploits sexuels infinis. En ce sens elle est proche du conte de fées. Car le roman pornographique et le conte de fées se ressemblent beaucoup : ce qui les caractérise, c’est l’impossible.
Ce qui vient à l’esprit est d’abord bête.
Mais je n’ay maistre mon sieur, je vais où le vin me pousse.
Il est clair que le monde est purement parodique, c’est-à-dire que chaque chose qu’on regarde est la parodie d’une autre, ou encore la même chose sous une forme décevante.
Une fossette délicatement ironique dans la pâle joue virginale de l’auteur.
Nous coulerons nos doigts de rire et de gourde entre les dents glacées de la Belle-au-Bois-Dormant.
Je rusticise
Nous vivons en enfant des aventures incomplètes.
Il ment avec ardeur, ses yeux disent toute la jouissance qu’il y trouve.
Ce serait folie et inconséquence que de supposer que des choses qui n’ont encore jamais été accomplies puissent être accomplies sans recourir à des moyens jusqu’ici jamais employés.
Toute une société occulte de suicides ratés, et qui tous gardent le contact grâce à un système secret de correspondance. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien se raconter ?
faillir et faire comme si. Faillir et faire avec.
je t’aime d’un amour amoureux
Je rentre, me déshabille et vous écris.
Reconnaître une faute, et une responsabilité signifie quitter la sphère de l’éthique pour pénétrer dans celle du droit.
Ce que nous jouons c’est une représentation de la guerre.
Je désirais seulement faire partie d’un monde souterrain où le soleil ne brillerait jamais, où l’on n’entendrait jamais de sérénade et jamais au grand jamais le moindre rire d’enfants.
Estimons les ivrognes pour leur pas mal assuré ; qui titube ne tue pas.
Je t’aime parce que je t’ai aimé.

mardi 27 septembre 2011

... la vue étant le plus universel...


Dernièrement, je montais son escalier, je m’aperçois que le rideau d’une porte vitrée, soigneusement fermé d’ordinaire, laissait passer un petit jour sur le côté. Je ne sais comment j’eus la curiosité d’y appliquer l’œil. Une femme d’une taille élancée, et de la plus admirable conformation, vêtue magnifiquement, était assise dans cette chambre devant une petite table, sur laquelle elle appuyait ses deux bras, les mains croisées. Elle était placée vis-à-vis la porte, et je pus contempler l’angélique beauté de son visage. Mais elle, tournée vers moi, semblait ne pas me voir, ou plutôt ses yeux avaient je ne sais quel regard fixe, comme dénué, pour ainsi dire, d’aucune puissance de vision. Elle me faisait l’effet d’une personne qui dormirait les yeux ouverts. Je me sentis tout troublé, et je me glissai silencieusement dans la salle du cours, voisine de cet endroit.
Il n'y a point de doute que les inventions qui servent à augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui puissent être. Et il est malaisé d'en trouver aucune qui l'augmente davantage que celle de ces merveilleuses lunettes qui, n'étant en usage que depuis peu, nous ont déjà découvert de nouveaux astres dans le ciel, et d'autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant : en sorte que, portant notre vue beaucoup plus loin que n'avait coutume d'aller l'imagination de nos pères, elles semblent nous avoir ouvert le chemin, pour parvenir à une connaissance de la Nature beaucoup plus grande et plus parfaite qu'ils ne l'ont eue.
« Eh bien donc ! eh bien, des lounettes, — des lounettes pour mettre sul naso, voilà mes yeux à moi, — belli occhi, Signor ! » Et il sortait lunettes sur lunettes, si bien que toute la table commença à rayonner et à scintiller d’une singulière façon. Nathanael voyait des milliers d’yeux croiser sur lui leurs regards et s’agiter convulsivement, mais sans pouvoir détourner sa vue de cet aspect ; et Coppola déposait toujours plus de lunettes sur la table, et de nouveaux yeux étincelants lançaient des éclairs de plus en plus redoutables sur Nathanael, qui sentait leurs rayons d’un rouge de sang pénétrer ardemment dans sa poitrine. Excédé de cette terreur insensée, il s’écria : « Arrête ! arrête, homme enragé ! » — Il saisit en même temps par le bras Coppola, qui portait de nouveau la main à ses poches pour en sortir encore d’autres lunettes, quoique la table en fût déjà toute couverte. Coppola dégagea doucement son bras avec un rire sourd et déplaisant, et dit : « Ah ! — rien pour vous ? — ma ici souperbes verres ! » — Il avait ramassé et empoché toutes ses lunettes, et il tira de la poche latérale de son habit force lorgnettes de toutes les dimensions.
Il y a environ trente ans, qu'un nommé Jacques Metius , de la ville d'Alcmar en Hollande, homme qui n'avait jamais étudié, bien qu'il eût un père et un frère qui ont fait profession des mathématiques, mais qui prenait particulière­ment plaisir à faire des miroirs et verres brûlants, en composant même l'hiver avec de la glace, ainsi que l'expérience a montré qu'on en peut faire, ayant à cette occasion plusieurs verres de diverses formes, s'avisa par bonheur de regarder au travers de deux, dont l'un était un peu plus épais au milieu qu'aux extrémités, et l'autre au con­traire beaucoup plus épais aux extrémités qu'au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts d'un tuyau, que la première des lunettes dont nous parlons, en fut composée. Et c'est seulement sur ce patron que toutes les autres qu'on a vues depuis ont été faites, sans que personne encore, que je sache, ait suffisamment déterminé les figures que ces verres doivent avoir.
Dès que les lunettes eurent disparu, Nathanael redevint tout-à-fait calme, et en pensant à Clara, il vit bien que cette illusion de sorcellerie n’avait de fondement que dans son esprit, et que Coppola ne pouvait être qu’un simple mécanicien, un honnête opticien, et nullement un odieux fantôme ni le ménechme de Coppelius. D’ailleurs tous les verres que Coppola venait d’étaler de nouveau sur la table n’offraient rien d’extraordinaire ni aucune fascination diabolique comparable à celle des lunettes. Aussi Nathanael résolut, par forme de réparation, d’acheter effectivement quelque chose à Coppola. Il prit une petite lorgnette de poche très-artistement travaillée, et alla pour l’essayer à la fenêtre. De sa vie, il n’avait encore rencontré un verre qui rapprochât et peignit aux yeux les objets avec autant de netteté, de précision et de justesse. Il regarda par hasard dans la chambre de Spallanzani : Olympie était assise comme à l’ordinaire devant la petite table, les bras appuyés dessus et les mains croisées. Nathanael vit alors pour la première fois l’admirable régularité des traits d’Olympie ; ses yeux seulement paraissaient étrangement fixes et inanimés. Mais à force de regarder attentivement à travers la lorgnette, il lui sembla voir comme d’humides rayons lunaires se réfléchir dans les yeux d’Olympie, et la puissance visuelle s’y introduire par degrés, et le feu de ses regards devenir de plus en plus ardent et vivace. Nathanael était retenu à la fenêtre comme ensorcelé, et ne pouvait se lasser de contempler la céleste beauté d’Olympie.
Car, bien qu'il y ait eu depuis quantité de bons esprits, qui ont fort cultivé cette matière, et ont trouvé à son occasion plusieurs choses en l'Optique, qui valent mieux que ce que nous en avaient laissé les anciens, toutefois, à cause que les inventions un peu malaisées n'arrivent pas à leur dernier degré de perfection du premier coup, il est encore demeuré assez de difficultés en celle-ci, pour me donner sujet d'en écrire. Et d'autant que l'exécution des choses que je dirai doit dépendre de l'industrie des artisans, qui pour l'ordinaire n'ont point étudié, je tâcherai de me rendre intelligible à tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer, qu'on doive avoir appris des autres sciences.
Le rideau de la chambre fatale était soigneusement tiré. Nathanael ne put entrevoir Olympie ni de cet endroit, ni même de sa fenêtre, deux jours durant, quoiqu’il s’absentât à peine et qu’il eut continuellement l’œil appliqué à la lorgnette de Coppola. Le troisième jour on mit des rideaux aux croisées. — Absolument désespéré, dévoré d’ardeur et de désirs, Nathanael s’enfuit hors de la porte de la ville. L’image d’Olympie flottait devant lui dans les airs, elle surgissait du buisson, elle frappait ses yeux dans le miroir du ruisseau et le poursuivait partout de regards étincelants. Le souvenir de Clara était complètement effacé dans son esprit. Il ne pensait à rien qu’à Olympie, il allait se plaignant à haute voix et d’un ton langoureux : « Ô toi ! ma sublime étoile d’amour ! ne m’as-tu donc apparu que pour t’éclipser aussitôt et me laisser perdu sans espérance dans d’épaisses ténèbres ! »

ses yeux transparents...



Ses yeux transparents me jettent de doux regards // tu pourrais voir par tes yeux  // vous avez sommeil, et vous ne pouvez tenir les yeux ouverts // alors il jette de grosses poignées de sable dans leurs yeux, qui sortent tout sanglants de la tête // des becs crochus avec lesquels ils mangent les yeux aux petits enfants qui ne sont pas sages // mais pénétrer le secret par moi-même, voir de mes yeux le mystérieux homme au sable // un spectre menaçant // des sourcils gris très-épais sous lesquels brillent deux yeux de chat // les larmes aux yeux // je ne voyais plus cet épouvantail du conte de la nourrice arrachant aux enfants leurs yeux pour la becquée de son nid de hiboux dans la lune // je croyais à tout moment distinguer des visages humains, mais dépourvus d’yeux  // Des yeux ici, des yeux ! // À présent nous avons des yeux, — des yeux ! — une belle paire d’yeux d’enfant ! // du milieu des flammes des charbons ardents qu’il voulait me jeter sur les yeux // laisse les yeux de mon Nathanael // que ce marmot garde ses yeux pour pleurer son pensum dans ce bas monde // Les larmes jaillirent des yeux de ma mère // devant moi avec des yeux étincelants //

mardi 20 septembre 2011

La Reine des Neiges-(la règle)


Nous pourrions jouer à un jeu  le jeu des histoires  raconter une histoire des histoires les lier les mêler intervenir glisser laisser glisser du son des sens raconter une histoire mais une histoire connue  comme elle te vient comme tu t’en souviens une histoire que l’on connaît tous et toutes une histoire dans laquelle tu te racontes aussi une histoire dans laquelle tu mets des traces de toi de ta vie de tes envies du genre à donner du travail aux chercheurs plus tard qui se demanderont ce qui est vrai ce qui ne l’est pas du genre à permettre aux chercheurs de fouiller dans tes affaires personnelles pour expliquer ce que tu as raconté pourquoi tu l’as raconté et en tirer de grandes conclusion comme tout cela vient de tes complexes d’enfant tu voulais épouser maman et tu voulais tuer papa et c’est pour ça que tu aimes tellement cette histoire que tu t’y glisses si facilement qu’elle t’obsède que tu l’obsèdes aussi l’histoire car tout est affaire de réciprocité l’un ne va pas sans l’autre l’un va avec l’autre obsessions partagées alors partage là aussi ton obsession avec ceux qui vont écouter ton histoire cette histoire dans laquelle tu te glisses si bien qui est peut-être aussi un peu la tienne en déformée en autre comme passé au crible de la fiction tu racontes une histoire c’est le jeu qui n’est pas ta vie mais dans laquelle tu repères des éléments qui auraient pu être ta vie qui ressemblent à ta vie et tu les signales tu les tritures et alors on ne sait plus si c’est ta vie qui donne l’histoire ou si c’est l’histoire qui donne l’histoire si cette histoire racontée est ta vie ou pas si ta vie est une histoire si toute histoire est une vie on ne sait pas on ne sait plus mais on écoute on se laisse nous aussi aller dans cette histoire cette histoire dans laquelle tu t’es glissée cette histoire que l’on pensait connaître que l’on reconnaît mais qui soudain est possédée par toi toi qui racontes ce que je veux dire c’est que l’on ne sait plus on ne doit plus savoir de l’histoire ou de toi de toi ou de l’histoire ça se confond ça se mélange c’est indiscernable tu vois le genre …

lundi 19 septembre 2011

La Reine des Neiges-2


DEUXIEME HISTOIRE
UN PETIT GARÇON ET UNE PETITE FILLE


Nous habitons dans une grande ville, où il y a tant de maisons et tant de monde qu'il ne reste pas assez de place pour que chaque famille puisse avoir son petit jardin. Nous sommes pauvres, nous sommes deux enfants, nous sommes deux enfants pauvres, mais nous avons un petit jardin. Nous ne sommes pas frère et sœur, mais nous nous aimons autant que si nous l’étions. Nos parents habitent juste en face les uns des autres, là où le toit d'une maison touchait presque le toit de l'autre, séparés seulement par les gouttières. Une petite fenêtre s'ouvre dans chaque maison, il suffit d'enjamber les gouttières pour passer d'un logement à l'autre. Les familles ont chacune devant sa fenêtre une grande caisse où poussent des herbes potagères dont elles se servent dans la cuisine, et dans chaque caisse pousse aussi un rosier qui se développe admirablement. Un jour, nos parents ont l'idée de placer les caisses en travers des gouttières de sorte qu'elles se rejoignent presque d'une fenêtre à l'autre et forment un jardin miniature. Les tiges de pois pendent autour des caisses et les branches des rosiers grimpent autour des fenêtres, se penchent les unes vers les autres, un vrai petit arc de triomphe de verdure et de fleurs. Comme les caisses sont placées très haut, nous savons que nous n'avons pas le droit d'y grimper seuls, mais on nous permet souvent d'aller l'un vers l'autre, de s'asseoir chacun sur notre petit tabouret sous les roses, et nous ne jouons nulle part mieux que là. L'hiver, ce plaisir-là est fini. Les vitres sont couvertes de givre, mais alors nous faisons chauffer sur le poêle une pièce de cuivre et la plaçons un instant sur la vitre gelée. Il se forme un petit trou tout rond à travers lequel épie à chaque fenêtre un petit œil très doux, le mien d’un côté, celui de mon amie de l'autre. Je m'appelle Kay et elle s’appelle Gerda. L'été, nous pouvons d'un bond venir l'un chez l'autre ; l'hiver il faut d'abord descendre les nombreux étages d'un côté et les remonter ensuite de l'autre. Dehors, la neige tourbillonne.
— Ce sont les abeilles blanches qui papillonnent, dit la grand-mère.
— Est-ce qu'elles ont aussi une reine ? je demande.
— Mais bien sûr, dit grand-mère. Elle vole là où les abeilles sont les plus serrées, c'est la plus grande de toutes et elle ne reste jamais sur la terre, elle remonte dans les nuages noirs.
— Nous avons vu ça bien souvent, nous disons.
Et ainsi ils surent que c'était vrai.
  Est-ce que la Reine des Neiges peut entrer ici ? demande ma petite amie.
   Elle n'a qu'à venir, je dis, je la mettrai sur le poêle brûlant et elle fondra aussitôt.
Le soir, à moitié déshabillé, je grimpe sur une chaise près de la fenêtre et regarde par le trou d'observation. Quelques flocons de neige tombent au-dehors et l'un de ceux-ci, le plus grand, atterrit sur le rebord d'une des caisses de fleurs. Ce flocon grandit peu à peu et finit par devenir une dame vêtue du plus fin voile blanc fait de millions de flocons en forme d'étoiles. Elle est belle, si belle, faite de glace aveuglante et scintillante et cependant vivante. Ses yeux étincellent comme deux étoiles, mais il n'y a en eux ni calme ni repos. Elle fait vers la fenêtre un signe de la tête et de la main. Tout effrayé, je saute à bas de la chaise, il me semble alors qu'un grand oiseau, au- dehors, passait en plein vol devant la fenêtre. Le lendemain est un jour de froid clair, puis vient le dégel et le printemps.
Cet été-là les roses fleurissent magnifiquement, Gerda a appris un psaume où l'on parle des roses, cela lui fait penser à ses propres roses et elle me chante cet air, et je chante avec elle :
Les roses poussent dans les vallées où l'enfant Jésus vient nous parler.
Nous nous tenons par la main, nous baisons les roses, admirons les clairs rayons du soleil de Dieu et leur parlons comme si Jésus était là. Quels beaux jours d'été où il est si agréable d'être dehors sous les frais rosiers qui semblent ne vouloir jamais cesser de donner des fleurs ! nous sommes assis à regarder le livre d'images plein de bêtes et d'oiseaux - l'horloge sonne cinq heures à la tour de l'église - quand brusquement je m'écrie :
— Aïe, quelque chose m'a piqué au cœur et une poussière m'est entrée dans l'œil.
Mon amie me prend par le cou, regarde dans mon œil, je cligne des yeux, non, on ne voit rien.
— Je crois que c'est parti, je dis.
Mais ce ne l'est pas du tout ! C'est un de ces éclats du miroir ensorcelé dont nous nous souvenons, cet affreux miroir qui fait que tout ce qui est grand et beau, réfléchi en lui, devient petit et laid, tandis que le mal et le vil, le défaut de la moindre chose prenne une importance et une netteté accrues.
Le pauvre Kay a aussi reçu un éclat juste dans le cœur qui sera bientôt froid comme un bloc de glace. Il ne sent aucune douleur, mais le mal est fait.
— Pourquoi pleures-tu ? je crie, tu es laide quand tu pleures, est-ce que je me plains de quelque chose ? Oh! cette rose est dévorée par un ver et regarde celle-là qui pousse tout
de travers, au fond ces roses sont très laides.
Je donne des coups de pied dans la caisse et arrache les roses. - Kay, qu'est-ce que tu fais ? crie mon amie. Et lorsque je vois son effroi, j’arrache encore une rose et rentre vite par sa fenêtre, et je laisse là la charmante petite Gerda, ma charmante amie.
Quand par la suite elle apporte le livre d'images, je déclare qu'il est tout juste bon pour les bébés et si grand-mère gentiment raconte des histoires, j’ai toujours à redire, parfois je marche derrière elle, mets des lunettes et imite, à la perfection du reste, sa manière de parler ; les gens en rient.
Bientôt je commence à parler et à marcher comme tous les gens de sa rue pour me moquer d'eux.
On se met à dire : « Il est intelligent ce garçon-là ! » Mais c'est la poussière du miroir qu'il a reçue dans l'œil, l'éclat qui s'est fiché dans son cœur qui sont la cause de sa transformation et de ce qu'il taquine la petite Gerda, sa petite amie, laquelle l'aime de toute son âme.
Nos jeux changent complètement, ils deviennent beaucoup plus réfléchis. Un jour d'hiver, comme la neige tourbillonne au-dehors, j’apporte une grande loupe, étale sa veste bleue et laissa la neige tomber dessus.
— Regarde dans la loupe, Gerda, je dis.
Chaque flocon devient immense et ressemble à une fleur splendide ou à une étoile à dix côtés. - Comme c'est curieux, bien plus intéressant qu'une véritable fleur, ici il n'y a aucun défaut, ce seraient des fleurs parfaites - si elles ne fondaient pas.
Peu après j’arrive portant de gros gants, j’ai mon traîneau sur le dos, je crie aux oreilles de Gerda :
— J'ai la permission de faire du traîneau sur la grande place où les autres jouent ! Et me voilà parti.
Sur la place, les garçons les plus hardis attachent souvent leur traîneau à la voiture d'un paysan et se font ainsi traîner un bon bout de chemin. C'est très amusant. Au milieu du jeu ce jour-là arrive un grand traîneau peint en blanc dans lequel est assise une personne enveloppée d'un manteau de fourrure blanc avec un bonnet blanc également. Ce traîneau fait deux fois le tour de la place et je peux y accrocher rapidement mon petit traîneau.
Dans la rue suivante, nous allons de plus en plus vite. La personne qui conduit tourne la tête, me fait un signe amical comme si elle me connait. Chaque fois que je veux détacher mon petit traîneau, cette personne me fait un signe je n’ose plus bouger ; nous sommes bientôt aux portes de la ville, nous les dépassons même. Alors la neige se met à tomber si fort que je ne vois plus rien devant moi, dans cette course folle, je saisis la corde qui m'attache au grand traîneau pour me dégager, mais rien n'y fait. Mon petit traîneau est solidement fixé et mène un train d'enfer derrière le grand. Alors je me mets à crier très fort mais personne ne m'entent, la neige me cingle, le traîneau vole, parfois il fait un bond comme s'il saute par-dessus des fossés et des mottes de terre. Je suis épouvanté, je  veux dire ma prière et seule ma table de multiplication me vient à l'esprit.
Les flocons de neige deviennent de plus en plus grands, à la fin on dirait de véritables maisons blanches ; le grand traîneau fait un écart puis s'arrête et la personne qui le conduit se lève, son manteau et son bonnet ne sont faits que de neige et elle est une dame si grande et si mince, étincelante : la Reine des Neiges.
­— Nous en avons fait du chemin, dit-elle, mais tu es glacé, viens dans ma peau d'ours.
Elle me prend près d'elle dans le grand traîneau, m'enveloppe du manteau. Il me semble tomber dans des gouffres de neige.- As-tu encore froid ? demanda-t-elle en m'embrassant sur le front.  Son baiser est plus glacé que la glace et me pénètre jusqu'au cœur déjà à demi glacé. Je crois mourir, un instant seulement, après je me sens bien, je ne remarque plus le froid.  «Mon traîneau, n'oublie pas mon traîneau.» C'est la dernière chose dont je me souviens.

Le traîneau est attaché à une poule blanche qui vole derrière eux en le portant sur son dos. La Reine des Neiges pose encore une fois un baiser sur mon front, alors je sombre dans l'oubli total, j’ai oublié Gerda, ma grand-mère et tout le monde à la maison.
— Tu n'auras pas d'autre baiser, dit-elle, car tu en mourrais.
Je la regarde. Qu'elle est belle, je ne peux  m'imaginer visage plus intelligent, plus charmant, elle ne me semble plus du tout de glace comme le jour où je l'ai aperçue de la fenêtre et où elle m’a fait des signes d'amitié ! A mes yeux elle est aujourd'hui la perfection, je n'ai plus du tout peur, je lui raconte que je sais calculer de tête, même avec des chiffres décimaux, que je connais la superficie du pays et le nombre de ses habitants. Elle me sourit ... Alors il me semble que je ne sais au fond que peu de chose et mes yeux s'élèvent vers l'immensité de l'espace. La reine m'entraîne de plus en plus haut. Nous volons par-dessus les forêts et les océans, les jardins et les pays. Au-dessous de nous le vent glacé siffle, les loups hurlent, la neige étincèle, les corbeaux croassent, mais tout en haut brille la lune, si grande et si claire.
Au matin, je dors aux pieds de la Reine des Neiges.

mardi 13 septembre 2011

La Reine des Neiges-1


Tu es si beau pour moi à la lueur de la neige
Je te choisis pour l’élu de mon cœur,
Viens, suis-moi bien haut sur mon île flottante,
Par-dessus mont et mer

Mais c’est qui cette putain de Reine des Neiges ?


PREMIERE HISTOIRE
QUI TRAITE D'UN MIROIR ET DE SES MORCEAUX
Voilà ! Nous commençons. Nous commençons et nous avançons.
Voilà ! On commence. Ou plutôt ça commence. Comme dans un film sur écran blanc. Projection. À l’heure. Ça commence à l’heure. Nous commençons à l’heure. C’est parti. En avant. À la fin on en saura plus qu’au début. Si on relit, si on revoit, on saura alors la fin, déjà, avant. Mais là on commence, et le diable seul sait la fin. Le diable seul peut nous donner la fin. Le diable sera là à la fin et nous regardera avec un petit sourire sarcastique. Car lui, il sait comment tout va terminer, comment tout va se terminer. Car lui, seul, sait comment ça va se terminer.
L’histoire va se déployer, va se dérouler, pour vous, devant vos yeux. Et lorsque nous serons à la fin de l'histoire, nous en saurons plus que maintenant. Maintenant que nous sommes au début de l’histoire, qu’elle n’a pas encore commencé, l’histoire, c’est juste un prologue, histoire de retarder un peu l’histoire. Une histoire qui ne commence pas avec n’importe qui d’ailleurs, une histoire qui commence avec un personnage hors du commun, un vrai personnage singulier : un sorcier, un vrai, un troll, un diable, le «Diable» en personne. Celui qui sait la fin, la fin de l’histoire et qui rit et de se voir si beau en ce miroir, et d’en savoir la fin, de l’histoire.

Un jour, le diable, le sorcier, le troll, lui même, en personne, était de fort bonne humeur : il avait fabriqué un miroir dont la particularité était que le Bien et le Beau en se réfléchissant en lui se réduisaient à presque rien, mais que tout ce qui ne valait rien, tout ce qui était mauvais, apparaissait nettement et empirait encore. Les plus beaux paysages y devenaient des épinards cuits (je dis épinards cuits, mais on peut penser à un autre légume, qui cuit, n’est pas beau – et je dis aussi épinards, car je pense à  mon frère qui n'aime pas les épinards et c'est heureux pour mon frère, car s'il les aimait, il en mangerait et il ne peut pas les supporter, il est de nature studieuse ). Les plus jolies personnes y semblaient laides à faire peur, ou bien elles se tenaient sur la tête et n'avaient pas de ventre, les visages étaient si déformés qu'ils n'étaient pas reconnaissables, et si l'on avait une tache de rousseur (ou un bouton ou une verrue ou un furoncle), c'est toute la figure (le nez, la bouche) qui était criblée de son, (ou de boutons, de verrues, de furoncles). Le diable, le sorcier, le troll trouvait ça très amusant. Lorsqu'une pensée bonne et pieuse passait dans le cerveau d'un homme, la glace ricanait et le diable, le sorcier, le troll riait de sa prodigieuse invention. Il riait à en perdre haleine – malodorante, disait-on. Tous ceux qui allaient à l'école des sorciers, des diables, des trolls - car il avait créé une école de sorciers, de diables, de trolls - racontaient à la ronde que c'est un miracle qu'il avait accompli là. Pour la première fois, disaient-ils, on voyait comment la terre et les êtres humains sont réellement. Ils couraient de tous côtés avec leur miroir et bientôt il n'y eut pas un pays, pas une personne qui n'eussent été déformés là-dedans. Alors, ces apprentis sorciers, diables, trolls voulurent voler vers le ciel lui-même, pour se moquer aussi des anges et de Notre-Seigneur. Plus ils volaient haut avec le miroir, plus ils ricanaient. C'est à peine s'ils pouvaient le tenir et ils volaient de plus en plus haut, de plus en plus près de Dieu et des anges, alors le miroir se mit à trembler si fort dans leurs mains qu'il leur échappa et tomba dans une chute vertigineuse sur la terre où il se brisa en mille morceaux, que dis-je, en des millions, des milliards, des milliards de milliards de morceaux, et alors, ce miroir devint encore plus dangereux qu'auparavant. Les morceaux n'étant pas plus grands qu'un grain de sable voltigeaient à travers le monde et si par malheur quelqu'un les recevait dans l'œil, le pauvre accidenté voyait les choses tout de travers ou bien ne voyait que ce qu'il y avait de mauvais en chaque chose, le plus petit morceau du miroir ayant conservé le même pouvoir que le miroir tout entier. Quelques personnes eurent même la malchance qu'un petit éclat leur sautât dans le cœur et, alors, c'était affreux : leur cœur devenait un bloc de glace. D'autres morceaux étaient, au contraire, si grands qu'on les employait pour faire des vitres, et il n'était pas bon dans ce cas de regarder ses amis à travers elles. D'autres petits bouts servirent à faire des lunettes, alors tout allait encore plus mal. Si quelqu'un les mettait pour bien voir et juger d'une chose en toute équité, le Malin riait à s'en faire éclater le ventre, ce qui le chatouillait agréablement.
Mais ce n'était pas fini comme ça. Dans l'air volaient encore quelques parcelles du miroir !
Ecoutez plutôt. – ceci va être l’autre histoire. Ce n’était qu’un prologue, un préambule, un début, rien de plus.