lundi 13 septembre 2010

la main gauche sur le front...

     Il y a une photographie d’écrivain qui m’a toujours fasciné ; en fait il y en a deux, mais je reviendrai peut être plus tard sur la seconde. Celle qui m’intéresse maintenant est une photographie d’Onetti, de Juan Carlos Onetti, écrivain uruguayen injustement ignoré, mais dont les lecteurs forment une société secrète, pour reprendre la formule de Maurice Nadeau à propos de Malcolm Lowry et d’Au dessous du volcan. A moins, que ces lecteurs ne forment une communauté imaginée.
     Sur cette photo, on y voit l’auteur, l’air un peu perdu, légèrement mélancolique, avec la main gauche posée sur le front de sa femme. Elle a un regard perdu, absent, et ne semble pas être là : comme si Onetti touchait un fantôme, essayait d’étreindre un fantôme.
     Cette image condense toute la littérature d’Onetti, celle dont il disait qu’elle est une « littérature de bonté, et celui qui ne le voit pas est un âne ». Cette image, toute en douceur, même si inquiétante, dans la posture du bras même, est à l’image des écrits de Onetti, un mélange subtil de mélancolie et de douceur.
     Elle est à l’image de l’auteur qui ne bougeait plus de son lit, fumant clope sur clope, et buvant whisky sur whisky, rêvant à des lolitas si souvent chassées dans ses romans. Les papillons, les jeunes filles, sans doute est-ce un peu la même chose.
     Elle est à l’image de ce que devrait être la littérature, une littérature à la recherche de la bonté, et non du mal. Dans son pessimisme profond, Onetti savait aussi que la beauté est là, dans le toucher doux et délicat, reposant, du front d’une femme aimée.

vendredi 10 septembre 2010

portraits

Venise, 1949, cigare long aux lèvres, il refait son nœud de cravate devant une porte miroir. On le voit de profil et de face dans le reflet. On ne voit pas son œil droit, caché par le chambranle de la porte. Son œil droit qu’il a perdu deux ans auparavant dans un accident de voiture dans lequel sa femme est morte. Il mourra en 1970 d’une crise cardiaque pendant que sa seconde femme est allée faire des courses. Il vivait que pour ce qu’il voyait et pour le son des mots.

Paris, septembre 2003, il se tient immobile, mains dans les poches, regard fixe, sérieux et décidé. Il se souvient sans doute de ses deux années passées à Paris au milieu des années 70. Il a arrêté de boire du whisky il y a cinq jours, pour effacer en lui toute trace de postmodernisme.

Mexique, 2000, main gauche dans la poche, la droite tient une cigarette. Il fait beau. Le nouveau grand écrivain français est mexicain.

Par lui-même en 1985 : jeux avec les reflets, caché derrière l’objectif. Les vitres sont des miroirs. Il se cache, ne s’en cache pas.

Trieste, 2003, dans un café, forcément. Grand sourire pendant qu’il classe des papiers. Là aussi, il est double, doublé, par le grand miroir derrière lui : sur la droite. Qui est le reflet de qui ? Chaque expérience nécessite une nouvelle voix.

Paris, décembre 2002, fume-cigarettes, Ray-ban, casquette, manteau en cashmere, foulard de soie. Il rêve d’une bombe qui ferait disparaître le culte d’Elvis. Une bombe à Graceland.

Londres, décembre 2002, sur les toits, pieds croisés, mains dans les poches, chemise bleue. Le monde est la mélancolie.