mardi 31 mai 2011

la boule de cristal



Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas. Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas. Je ne l’aime pas car elle a transformé mon frère aîné en aigle. Je ne l’aime pas car elle a transformé mon autre frère en baleine. Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas. Mais j’aimais mes frères. Mon frère aîné habite sur un pic rocheux. Parfois je vois mon frère aîné voler, monter et descendre dans le ciel. Parfois je vois mon frère aîné   tourbillonner dans le ciel. Mon autre frère habite dans les profondeurs de la mer. Parfois je vois mon autre frère lancer un puissant jet d’eau en l’air. J’aimais mes frères. Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas. Mais j’aimais mes frères. Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas. Et elle a voulu me transformer en ours ou en loup. Mais je me suis enfui. Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas. Et je me suis enfui discrètement, un soir. Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas. Elle croyait que nous voulions lui ravir son pouvoir. Alors elle a transformé mon frère aîné en aigle. Mon autre frère en baleine. Et moi, elle voulait me transformer en ours ou en loup. Une bête sauvage. Mais je me suis enfui. Ma mère est magicienne mais je ne l’aime pas.
Mon père n’existe pas. N’a jamais existé.
Je me suis enfui, par les chemins, par les bois, par les forêts, par les sentiers. Je ne voulais pas être loup ou ours.
J’avais lu ou j’avais entendu dire, je ne sais plus, mais qu’importe, qu’au château du soleil d’or il y avait une princesse enchantée qui attendait sa délivrance. Bien sûr ce n’était pas facile de la délivrer, sinon cela ferait déjà bien longtemps qu’elle ne serait plus en train de dormir, la princesse enchantée dans le château du soleil d’or. J’avais lu ou j’avais entendu dire, mais qu’importe, qu’il n’y avait que vingt-quatre tentatives possibles et permises pour la sauver. Et déjà vingt-trois morts. Vingt-trois jeunes gens étaient déjà morts d’une mort lamentable, avais-je lu, avais-je entendu dire, je ne sais plus, mais qu’importe. Il ne restait plus qu’un essai, donc, et après fini, la princesse enchantée dans le château du soleil d’or resterait à jamais enchantée dans le château du soleil d’or, avais-je lu, avais-je entendu dire, je ne sais plus, mais qu’importe.
Je n’avais rien à perdre. J’avais perdu mes frères . Ma mère ne m’aimait pas, elle voulait me transformer en ours ou en loup. Mon père n’existait pas. Je m’étais enfui, par les routes, par les bois, par les forêts, par les sentiers. Je pouvais bien risquer ma vie et peut être sauver la princesse enchantée dans le château du soleil d’or. Et si j’avais aussi une mort lamentable, elle valait mieux qu’une vie d’ours ou de loup.
Alors j’ai cherché et encore cherché le château du soleil d’or mais je ne le trouvais pas le château du soleil d’or, non impossible de le trouver le château du soleil d’or. Il n’était sur aucune carte et personne ne savait où il était ce château du soleil d’or. Je demandais la route, mais on me répondait toujours la même chose, on ne savait pas où était le château du soleil d’or. J’ai longtemps erré à l’aventure sans pouvoir le trouver ce château du soleil d’or, comme si le château du soleil d’or n’avait jamais existé, comme si ce que j’avais lu, ou ce que j’avais entendu dire, je ne sais plus, mais qu’importe, n’était qu’une légende ou pire un conte de fées. Comme si le château du soleil d’or avec sa princesse enchantée attendant son libérateur n’était qu’un conte de fées.
J’étais dans une forêt, une sombre forêt, très sombre forêt, j’étais perdu, mais toujours à la recherche du château du soleil d’or. Je voulais le trouver ce château avant qu’un vingt-quatrième prétendant ne vienne y perdre sa vie en une mort lamentable. Je voulais être le vingt-quatrième. Je voulais soit mourir soit réussir, mais je voulais être le vingt-quatrième. J’étais dans une forêt sombre, très sombre et j’ai vu deux géants se battre, se donner de grands coups de poings dans le nez, dans le ventre. J’ai vu deux géants se battre. Ils semblaient de force égale, et chaque coup de poing dans le nez, et chaque coup de poing dans le ventre, ne semblait pas pouvoir désigner un vainqueur, tant les deux géants étaient de force égale, l’un aussi fort que l’autre. Je me suis avancé, ils ont cessé de se battre. Ils m’expliquèrent qu’ils se battaient pour un chapeau, un chapeau magique, qui permet d’aller où l’on veut, un chapeau qui permet d’exaucer un vœu, celui d’aller où l’on veut. Il ressemblait à un vieux chapeau ce chapeau magique. J’ai dit que c’était un vieux chapeau et pas un chapeau magique et qu’il ne fallait pas se battre pour un vieux chapeau, ce n’est pas bien. Mais les deux géants qui se donnaient avant des coups de poings dans le ventre et dans le nez ont insisté et ont dit mais si mais si c’est un chapeau magique gamin, et moi je n’aime pas que l’on m’appelle gamin, ma mère est une magicienne, mon frère aîné est un aigle, mon autre frère est une baleine, moi j’ai failli être un loup ou un ours, je n’ai pas de père et je ne suis pas un gamin. J’ai pris le chapeau, je l’ai mis sur ma tête et j’ai pensé au château du soleil d’or, et hop je m’y suis retrouvé au château du soleil d’or, comme ça, par la pensée, je me suis retrouvé sur une haute montagne, devant la porte du château, du château du soleil d’or. Et les deux géants doivent encore se donner des coups de poings dans le ventre et dans le nez pour avoir laissé filer un gamin avec le chapeau qui exauce un vœu, un seul vœu, celui d’aller où l’on veut, rien qu’en y pensant.
Je suis entré dans le château du soleil d’or et j’ai traversé toutes les pièces et je suis arrivé à la princesse enchantée. Mais ce n’était pas une super princesse, oh non, un visage couleur de cendre et tout ridé. Elle était laide la princesse enchantée du château d’or, et cela je ne l’avais pas lu ou entendu, je ne sais plus, mais qu’importe, je ne savais pas, mais vraiment pas que la princesse enchantée du château du soleil d’or était couleur de cendre et toute ridée, des yeux troubles et des cheveux rouges, elle était vieille et laide, laide et vieille. Ce n’était pas un conte de fées, assurément non, car j’en ai lu des contes de fées et à chaque fois, la princesse enchantée, ou non, est belle et jeune. J’ai failli avoir une crise cardiaque en voyant cette si vilaine personne, cette si laide personne, princesse ou pas princesse, elle était laide et vilaine, et vieille et ridée, des yeux troubles et des cheveux rouges. Tout ça pour ça. Finalement une ours ou une louve est plus belle que cette horrible princesse enchantée dans le château du soleil d’or.
Elle a dit alors que ce n’était pas son vrai visage, que c’était l’enchantement qui la rendait ainsi, couleur de cendre, le visage ridé, les yeux troubles et les cheveux rouges. Elle dit ensuite qu’elle était belle, la plus belle femme du monde. Elle dit qu’il fallait lever l’enchantement, et alors elle ne serait plus une princesse enchantée, mais une belle princesse. Je voulais bien la croire mais il me fallait une preuve. Je n’allais pas risquer ma vie pour une princesse qui resterait laide et vieille avec les yeux troubles et les cheveux rouges. Je préférais encore rentrer chez moi et être transformé en ours ou en louve par ma mère la magicienne que je n’aime pas.
Elle a tendu un miroir et j’ai vu son vrai visage et j’ai accepté.
Je devais trouver la boule de cristal du magicien, que je n’aimais pas car il avait jeté un sort sur la princesse qui en fait était très belle, était la plus belle femme du monde. Je devais trouver la boule de cristal du magicien et la tenir devant le magicien pour briser le sort et permettre à la princesse enchantée du château du soleil d’or de retrouver son vrai visage, celui de la plus belle femme du monde et pas celle de cette vieille femme au teint de cendre, à la peau ridée, aux yeux troubles et aux cheveux rouges.
Je devais descendre de la montagne, trouver un auroch sauvage, le battre, lui sortir du corps un oiseau de feu qui porte en son ventre un œuf incandescent, lequel contient la boule de cristal en guise de jaune. Bien sûr l’oiseau de feu ne va pas laisser tomber son œuf rien que pour mes beaux yeux, il va falloir le forcer à le faire, mais je devrais faire attention car s’il touchait le sol, tout s’enflammerait alors et tout brûlerait aux alentours, et l’œuf lui même fondrait et avec lui la boule de cristal et toute ma peine aurait été en vain et la princesse enchantée du château du soleil d’or resterait à jamais cette vieille femme ridée au teint de cendre et aux yeux troubles et aux cheveux rouges.
Rien que ça.
J’ai trouvé l’auroch et je lui ai ouvert le ventre et  l’oiseau est sorti et il s’est enfui et mon frère l’aigle est arrivé et il l’a chassé vers la mer et il l’a obligé à sortir son œuf qui est tombé sur une cabane de pêcheur qui se trouvait sur la rive et qui s’est mis aussitôt à fumer et à s’embraser et mon frère la baleine a fait jaillir de hautes vagues qui ont empêché le feu de se répandre et l’œuf de cuire et je suis arrivé super vite sur les lieux et j’ai pris la boule de cristal et je suis allé voir le magicien, que je n’aimais pas, et il a accepté sa défaite et je suis devenu le roi du château du soleil d’or et je suis devenu très puissant et grâce à cela j’ai pu délivrer mes deux frères et je me suis marié avec la princesse enchantée du château du soleil d’or qui n’était plus enchantée, qui n’était plus vieille et ridée, qui n’avait plus les yeux troubles et qui n’avait plus de cheveux rouges, mais qui était belle, très belle, si belle.
Quant à ma mère, je ne sais pas ce qu’elle est devenue.

dimanche 15 mai 2011

L'histoire de la littérature au XXème siècle.





La littérature aura été le grand art du XXème siècle, celui qui aura réussi à le capter et à le dire de la manière la plus radicale, tout en y naissant et en y mourant. La littérature est née avec le XXème siècle et elle y est morte aussi.
La littérature aura été l’élément décisif de l’histoire, l’accompagnant, le montrant, le commentant, transportant aussi les rêves des utopistes qui voulaient un monde meilleur.
L’histoire du XXème siècle se lit, se lit et se découvre grâce à la littérature. Elle aura joué un rôle dans l’histoire du siècle, nous en sommes ses enfants, nous nous en sommes tous servis, nous nous en servons tous encore.
On ne peut comprendre l’Histoire du XXème siècle si on ne s’intéresse pas à la littérature, tout comme il est impossible de comprendre le XIXème, si on oublie qu’il fut, lui, le siècle du cinéma. Si on oublie que des réalisateurs, comme Balzac, Zola, Hugo, pour ne prendre que des Français, ont dit et montré le XIXème siècle. Le cinéma aura été la forme du XIXème siècle, la littérature celle du XXème.
Pas une grande date de l’histoire qui ne soit aussi littéraire.
Sans doute que la fusion fut trop grande et trop forte, que l’amour de l’un pour l’autre fut trop intense, et qu’un des deux devait disparaître pour permettre à l’autre de continuer. La littérature s’est sans doute sacrifiée pour permettre au siècle suivant, le nôtre, d’exister. Sans doute.
C’est cette histoire de vie et de mort que nous allons tenter de raconter à travers quelques uns de ses principaux protagonistes et témoins.

vendredi 13 mai 2011

we can be heroes



Marguerite Duras
(1914-1996)

" Il est arrêté devant elle, il fait ombre sur sa forme. A travers ses paupières, elle doit percevoir l'assombrissement de la lumière, la forme haute de son corps dressé au-dessus d'elle dans l'ombre duquel elle est prise. Le répit de la brûlure fait se distendre la bouche mordue à la robe. Il est là. Les yeux toujours fermés, elle lâche la robe, ramène ses bras le long de son corps dans la coulée de ses hanches, modifie l'écartement de ses jambes, les oblique vers lui afin qu'il voie d'elle encore davantage, qu'il voie d'elle plus encore que son sexe écartelé dans sa plus grande possibilité d'être vu, qu'il voie autre chose, aussi, en même temps, autre chose d'elle, qui ressorte d'elle comme une bouche vomissante, viscérale."

jeudi 5 mai 2011

we can be heroes



Claude Simon
(1913-2005)

« Je suis maintenant un vieil homme, et, comme beaucoup d'habitants de notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assez mouvementée : j'ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et dont, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde ... et cependant, je n'ai jamais encore, à soixante-douze ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n'est comme l'a dit, je crois, Barthes après Shakespeare que " si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien " — sauf qu'il est. »

mercredi 4 mai 2011

de quelques notes

Il faudrait que je fasse le tri des fiches laissées par Simon Melmoth.  Encore beaucoup qui restent à classer, dont son Paradis-cartes.


En attendant, en voici quelques unes :

— Un livre est un monde et la lecture est la tentative d'organisation de ce monde. On lit, on organise. En lisant on essaye de remettre en place le chaos du monde du livre.

— Je croyais apprendre à vivre, j'apprenais à lire.

— Deux dangers ne cessent de menacer la lecture : l'ordre & le désordre.

— On ne lit pas de la première à la dernière page : sauf peut-être les romans policiers. On parcourt le livre, à la recherche de points d'appui, de point d'accroche, qui vont permettre ensuite de réorganiser le livre, le monde, le monde du livre.

— Si on lit pour l'histoire, alors autant regarder un film.

— On peut aimer un livre pour un chapitre, pour un paragraphe, pour une phrase, voire pour un mot.

— "Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère." (Proust) / "Le poète parle une langue complètement inconnue, que chacun, et lui-même prend pour du grec ou du chaldéen."(Mandelstam)/ "Un style(...) c'est comme un étranger dans sa propre langue." (Deleuze)/ "J'appelle modernes ceux qui vivent toute langue comme étrangère, et doivent donc trouver une autre langue (...)" (Prigent)/ "Le style est une langue à l'intérieur de la langue, dont nul écrivain n'est pleinement conscient et moins encore le maître" (Fourcade)/ "Est écrivain celui pour qui le langage fait problème." (Barthes)/ "Toute oeuvre de valeur est un acte de révolte contre sa propre langue." (Kis)

— Tout lecteur est donc un traducteur : alors crayon et dictionnaire !

— Quand je lis je suis femme adultère, femme amoureuse, chevalier errant, super-héros, consul alcoolique, ami de Monelle, princesse aux petits seins....

— "J'ai fait la saison / Dans cette boite crânienne / Tes pensées, je les faisais miennes / T'accaparer, seulement t'accaparer"

dimanche 1 mai 2011

we can be heroes




Ernesto Sabato
(1911-2011)

"Mon coeur battit plus fort. Il me fallait des détails : ce sont les détails qui m'émeuvent, pas les généralités."