dimanche 23 mai 2010

les vagues

Il y avait les vagues
Les vagues vagues
Les vagues vagues
Il y avait
Le vacant
Comme un « rien »
Une dérive
Sur des rives
Vagues
De terrains

Il y avait les vagues
Le vide et
La beauté du flou
Beau comme la silhouette d’une femme
Voir flou
Tout en flou
Très flou
Très vague
La vue vaguement vague
Prunelles noyées de sperme

Évidemment tout le monde
Ne sait pas
Jouir des yeux

Les terres de rien
Les terres vagues
Les vagues terres

Et flotter entre ces terres
Ces vagues terres
Ces terres vagues

J’ai souffert pour vous
Et pour mieux dire
J’ai tout vu
Ce cet œil
Noyé de sperme

dimanche 16 mai 2010

pas de pas

Je suis là, enfermé. Je ne bouge pas, ou si peu, que si peu veut dire pas. Je ne bouge pas. Je suis enfermé. Enfin, je dis enfermé, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Ou plutôt si. Je suis enfermé et je ne suis pas enfermé. Mais ce qui est sûr, c’est que je ne bouge pas, ou si peu – que si peu veut dire pas. Pas de pas. Rien de travers : à moins que tout aille de travers. Je devrais dire : « Je suis là comme enfermé, je bouge si peu, que c’est comme si je ne bougeais pas d’un pas – ou plus d’un pas, pas un pas de plus – du tout. Je ne bouge plus du tout. Voilà, c’est ça : « Je suis là, comme enfermé et je ne bouge plus. » » Le pas, la main, rien ne bouge plus, rien ne bouge pas : ça ne bouge pas, mais ça parle, encore un peu ; là, comme un pas dans ma tête : ça bouge tout doucement, ça a bougé, mais ça ne parlait pas, ou si peu, que maintenant, ça parle un peu, mais sans trop bouger, sans plus bouger d’un pas.
C’est le choc : sur la tête, quand je faisais encore des pas, de travers, souvent, des pas de travers, et le choc, là, sur la tête. Et alors je n’ai plus bougé d’un pas, mais ça a commencé à parler, différemment, dans la tête, là où j’ai reçu le choc : on aurait pu croire, que, mais en fait non, le pas s’est arrêté, mais la voix, dans la tête a continué. Le flottement. Ça flotte dans la tête, doucement, un doux flottement, un doux flot, une douce flotte qui dans ma tête fait comme des pas, mais pas plus, ou plutôt pas, de pas, mais des voix, qui dans ma tête flottent comme des fantômes. Des fantasmes de pas. Dans ma tête. Que se passe-t-il quand la figure déraille ? quand la figure défaille ? quand la métaphore devient invivable ? quand la vie tout autant ? quand survient le choc sur la tête ? et qu’advient-il de moi quand mes pas rencontrent la mort ?
En fait tout devient comédie, pitrerie, figuration, méchanceté, paradoxe, sophisme, illusion, provocation, mensonge, jonglerie : y’a un mot pour ça : un mot qui dit en un mot tout ça : qui évite la liste, les mots, un mot qui remplace les mots, les mots remplacés par un mot : pas besoin de faire un pas de plus, y’a un mot pour tout dire et être à l’abri des chocs sur la tête suite au pas de travers : un mot pour traverser.
Tout est ce mot : dans la tête : enfoui. Tout simplement un mot, un mot tout simple : on le dit et on n’en parle plus : ou plutôt, si, on en parle encore et encore. En parler. Il faut que l’on en parle, toi et moi, maintenant, si tu veux, ou plus tard, mais tu sais que c’est important d’en parler, de le dire, là maintenant, ou plus tard, si tu veux.
Je ne veux pas me construire une misérable figure avec de gratifiants fantasmes, de suspects biographèmes : tu vois le genre : me raconter par petit bout, laisser aller, la voix qui en moi, depuis le choc sur ma tête m’a enlevé le pas mais ne m’a pas laissé sans voix : tu préférais quand je dansais ? quand je marchais ? quand mes pas recouvraient ma voix : oui moi aussi, je préférais.
Hanté : je suis hanté par cette voix depuis le choc sur la tête qui m’a laissé sans pas : qui m’a laissé sans mouvement, mais avec des mensonges plein la tête : des voix, une voix surtout : qui prend le pas sur mes pas et me laisse au final, finalement, sans voix, à moi, sans pas et sans voix. C’est étrange : possédé, hanté, je suis, par un fantôme qui mêle sa voix à la mienne et qui au final, finalement, me laissera sans voix à moi, sans mes pas, et sans ma voix.

samedi 8 mai 2010

Benjamin D.

Jacqueline de V., mariée à un procureur général, était mère de deux filles de seize et douze ans. L’aînée connaîtra le même destin que sa mère et se mariera aussi à un procureur général, aura aussi deux enfants ; deux garçons ; et comme sa mère s’ennuiera assez vite dans la vie. La cadette aura un parcours plus chaotique et se mariera à un militaire qui aura la bonne idée de mourir à la guerre assez jeune, laissant sa veuve peu éplorée à la tête d’un imposant domaine et d’une rente annuelle importante : ce qui l’empêchera de s’ennuyer.
Jacqueline de V. était de la haute noblesse de Clermont-Ferrand et son arbre généalogique ne comportait pas moins de soixante et onze quartiers. Elle en était très fière et le rappelait souvent à son mari, qui ne pouvait en prouver autant. Cela ne le touchait pas et il laissait parler sa femme : car de toute façon il ne l’écoutait pas : il la trouvait très ennuyeuse. Mais comme il le disait à ses amis : « Elle a de très belles fesses, alors… » Ce qui était vrai : et Jacqueline de V. savait s’en servir.
Elle s’ennuyait et pour combler cet ennui elle se perdit dans les bras d’un chanoine : le chanoine David. Ce qui n’était qu’une histoire de fesses tourna assez rapidement à la tragédie, non pas qu’elle tombât amoureuse de ce chanoine, assez laid selon les témoignages – mais très bien membré selon d’autres – mais parce qu’elle tomba enceinte de ce chanoine.
Elle trahit son mari, son Dieu, sa classe : le mari, ce n’était pas la première fois, son Dieu, elle avait déjà eu l’occasion de le faire. Mais sa classe, c’était une première et elle ne pouvait supporter d’être la honte de son arbre aux soixante et onze quartiers, qu’elle montrait si fièrement à tout nouveau visiteur et à tout nouvel amant : le chanoine David y compris.
Il fallut cacher la grossesse : ce qui ne fut pas aisé. Il fallut trouver mille et une ruses pour éviter et empêcher qu’enfle la rumeur : ce qui ne fut pas facile. Il fallut pendant six mois faire comme si de rien n’était. Pendant six mois, elle n’eut d’autre amant que ce chanoine, laid et bien membré.
Peu de temps avant la naissance de l’enfant, le chanoine arriva avec une heureuse nouvelle : « le fils de mon frère est mort ! Dieu nous vient en aide ! » Elle le regarda avec un drôle d’air, mais elle comprit bien vite combien cette nouvelle était bonne.
Elle fut emmenée au village de (…) où elle alla parler avec le frère du chanoine David, l’épicier David. Un brave homme. Sa femme effondrée de chagrin accueillit avec dignité Jacqueline de V.
« Vous avez perdu votre enfant. Je vous propose le mien. Je ne peux le garder. L’accouchement est pour bientôt, je le sens. Accueillez moi quelques jours ici, j’accoucherai et vous donnerai l’enfant. Personne n’en saura rien. «
Le chanoine David souriait. Elle avait vite et bien compris. Dieu l’avait entendu. Ce qui aurait pu être un drame, allait bien vite s’arranger.
L’accouchement fut douloureux. Jacqueline de V. avait quarante quatre ans. Et elle faillit mourir. Mais il faut croire qu’en effet, Dieu avait entendu les prières du chanoine David et qu’il avait décidé de laisser vivre la mère.
Elle fit comme elle avait dit : elle donna l’enfant, un garçon, à la famille qui quelques jours auparavant avait perdu le sien.
C’est le 22 juin 1740 que naquit Benjamin David. Il eut pour parrain un maître serrurier et pour marraine la femme d’un boulanger. Le conte de fées aurait pu commencer : la mère quittait les lieux, laissant un objet personnel, pour plus tard que l’enfant puisse se faire reconnaître des siens. Mais elle ne laissa qu’une somme d’argent, assez importante et retourna avec précipitation en ses terres et son château. Elle ne revit jamais le chanoine David qui devait mourir quelques jours plus tard en faisant une chute dans les escaliers : il faut croire que Dieu avait écouté les prières de Jacqueline de V. Benjamin ne revit jamais sa vraie mère, ne sut jamais pour son vrai père. Et de conte de fées, il n’y eut que ceux que sa mère lui lisait le soir avant de s’endormir.

mardi 4 mai 2010

l'inconnue...

à J.

De cette inconnue, adolescente, on ne sait rien : d’elle il ne reste qu’un masque mortuaire au sourire doux et étrange.

« une adolescente aux yeux clos, mais vivante par un sourire si délié, si fortuné, [...] qu'on eût pu croire qu'elle s'était noyée dans un instant d'extrême bonheur. »

On repêcha son corps dans la Seine à Paris. (On pourrait ici mettre la liste des ponts d’où elle aurait pu se jeter)

Elle était tellement belle qu’un employé de la morgue décida aussitôt de faire un moulage de son doux et beau visage.

« Le mouleur que je visite chaque jour a deux masques accrochés près de sa porte. Le visage de la jeune qui s'est noyée, que quelqu'un a copié à la morgue parce qu'il était beau, parce qu'il souriait toujours, parce que son sourire était si trompeur ; comme s'il savait. »

Et son léger sourire : aussi mystérieux que celui de la Joconde.

Et le succès fut garanti : elle devint le modèle de toute une génération de jeunes filles allemandes.

Une morte, au sourire si doux, qui devient un idéal érotique.

« cette jeune morte belle éternellement » 
(et pourtant, quand Aurélien vit Bérénice… )

Mais d’elle ? Que sait-on ? Que peut-on dire & raconter ? Rien, on ne sait rien… Alors, il faudrait inventer, mentir, raconter : notre besoin de fiction, de mensonge est-il si grand que nous ne puissions garder un secret, un mystère, sans vouloir le combler & l’enrober de fiction, d’histoire et de mensonge ?
N’est-il pas préférable de ne rien savoir et de ne rien raconter ? N’est-il pas souhaitable, pour une fois, de se retirer et de laisser l’inconnue de la Seine rester une inconnue ? Vouloir lui donner une histoire n’est-ce pas la tuer une seconde fois et lui ôter son sourire énigmatique de Joconde noyée ?

« Je crois que tu es la mort. »






















Albert Rudomine (1892-1975)
La Vierge inconnue du canal de l'Ourcq

1927
30 x 23,6 cm
Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la photographie, Ep-64-Fol.
Tous droits réservés. Courtesy Galerie Michelle Chomette, Paris

lecture


Voici sans doute le livre le plus drôle que j'aie jamais lu : rares sont les livres qui provoquent de grands éclats de rire. Le dernier devait être Le brave soldat Chvéïk. Un critique parle de la rencontre de Dante et de Kafka, oui, mais aussi Voltaire et son personnage Candide. Alors, imaginons Candide écrit par Kafka, guidé par Dante dans l'Enfer de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

"Durant toute sa vie, expliqua Yossarian à Clevinger avec un sourire patient, on avait cherché à le tuer. Il y avait les gens qui l'aimaient et les autres, qui ne l'aimaient pas ; ceux qui ne l'aimaient pas voulaient tout simplement sa peau. Ils le détestaient parce qu'il était assyrien. Mais ils ne pouvaient rien contre lui, assura-t-il à Clevinger, parce qu'il avait un esprit sain dans un corps pur, et qu'il était fort comme un boeuf. Ils ne pouvaient rien contre lui parce qu'il était Tarzan, Mandrake, Flash Gordon. Il était Bill Shakespeare. Il était Caïen, Ulysse, le Hollandais Volant, il était Loth à Sodome, la Walkyrie au Grand Coeur, le Rossignol de mes Amours. Il était la potion magique Z-247. Il était ...
 - Timbré ! gueula Clevinger. Voilà c'que t'es : timbré !"