vendredi 29 avril 2011

Marcel Schwob - la rêveuse

Après la mort de ses parents, Marjolaine resta dans leur petite maison avec sa vieille nourrice. Ils lui avaient laissé un toit de chaume bruni et le manteau de la grande cheminée. Car le père de Marjolaine avait été conteur et bâtisseur de rêves. Quelque ami de ses belles idées lui avait prêté sa terre pour construire, un peu d’argent pour songer. Il avait longtemps mélangé diverses espèces d’argile avec des poussières de métaux, afin de cuire un sublime émail. Il avait essayé de fondre et de dorer d’étranges verreries. Il avait pétri des noyaux de pâte dure percés de « lanternes », et le bronze refroidi s’irisait comme la surface des mares. Mais il ne restait de lui que deux ou trois creusets noircis, des plaques frustes d’airain bossuées de scories, et sept grandes cruches décolorées au-dessus du foyer. Et de la mère de Marjolaine, une fille pieuse de la campagne, il ne restait rien : car elle avait vendu pour « l’argilier » même son chapelet d’argent.
Marjolaine grandit près de son père, qui portait un tablier vert, dont les mains étaient toujours terreuses et les prunelles injectées de feu. Elle admirait les sept cruches de la cheminée, enduites de fumée, pleines de mystère, semblables à un arc-en-ciel creux et ondulé. Morgiane eût fait sortir de la cruche sanglante un brigand frotté d’huile, avec un sabre couvert par des fleurs de Damas. Dans la cruche orangée, on pouvait, comme Aladdin, trouver des fruits de rubis, des prunes d’améthyste, des cerises de grenat, des coings de topaze, des grappes d’opale, et des baies de diamant. La cruche jaune était remplie de poudre d’or que Camaralzaman avait cachée sous des olives. On voyait un peu une des olives sous le couvercle, et le bord du vase était luisant. La cruche verte devait être fermée par un grand sceau de cuivre, marqué par le roi Salomon. L’âge y avait peint une couche de vert-de-gris ; car cette cruche habitait autrefois l’Océan, et depuis plusieurs milliers d’années elle contenait un génie, qui était prince. Une très jeune fille sage saurait briser l’enchantement à la pleine lune, avec la permission du roi Salomon, qui a donné la voix aux mandragores. Dans la cruche bleu clair, Giauharé avait enclos toutes ses robes marines, tissées d’algues, gémmées d’aigues et tachées de la pourpre des coquillages. Tout le ciel du Paradis terrestre, et les fruits riches de l’arbre, et les écailles enflammées du serpent, et le glaive ardent de l’ange étaient enfermés par la cruche bleu sombre, pareille à l’énorme cupule azurée d’une fleur australe. Et la mystérieuse Lilith avait versé tout le ciel du Paradis céleste dans la dernière cruche : car elle se dressait, violette et rigide comme le camail de l’évêque.
Ceux qui ignoraient ces choses ne voyaient que sept vieilles cruches décolorées, sur le manteau renflé de l’âtre. Mais Marjolaine savait la vérité, par les contes de son père. Au feu d’hiver, parmi l’ombre changeante des flammes du bois et de la chandelle, elle suivait des yeux, jusqu’à l’heure où elle allait dormir, le grouillement des merveilles.
Cependant la huche à pain étant vide, avec la boîte à sel, la nourrice implorait Marjolaine. « Marie-toi, disait-elle, ma fleurette aimée : votre mère pensait à Jean ; veux-tu pas épouser Jean ? Ma Jolaine, ma Jolaine, quelle jolie mariée tu feras ! »
– La mariée de la Marjolaine a eu des chevaliers, dit la rêveuse ; j’aurai un prince.
– Princesse Marjolaine, dit la nourrice, épousez Jean, tu le feras prince.
– Nenni, nourrice, dit la rêveuse ; j’aime mieux filer. J’attends mes amants et mes robes pour un plus beau génie. Achète du chanvre et des quenouilles et un fuseau poli. Nous aurons notre palais bientôt. Il est pour le moment dans un désert noir d’Afrique. Un magicien l’habite, couvert de sang et de poisons. Il verse dans le vin des voyageurs une poudre brune qui les change en bêtes velues. Le palais est éclairé de torches vives, et les nègres qui servent aux repas ont des couronnes d’or. Mon prince tuera le magicien, et le palais viendra dans notre campagne, et tu berceras mon enfant.
– Ô Marjolaine, épouse Jean ! dit la vieille nourrice.
Marjolaine s’assit et fila. Patiemment elle tourna le fuseau, tordit le chanvre, et le détordit. Les quenouilles s’amincissaient et se regonflaient. Près d’elle Jean vint s’asseoir et l’admira. Mais elle n’y prenait point garde. Car les sept cruches de la grande cheminée étaient pleines de rêves. Pendant le jour elle croyait les entendre gémir ou chanter. Quand elle s’arrêtait de filer, la quenouille ne frémissait plus pour les cruches, et le fuseau cessait de leur prêter ses bruissements.
– Ô Marjolaine, épouse Jean, lui disait la vieille nourrice tous les soirs.
Mais au milieu de la nuit la rêveuse se levait. Comme Morgiane, elle jetait contre les cruches des grains de sable, pour éveiller les mystères. Et cependant le brigand continuait à dormir ; les fruits précieux ne cliquetaient pas, elle n’entendait pas couler la poudre d’or, ni se froisser l’étoffe des robes, et le sceau de Salomon pesait lourdement sur le prince enfermé.
Marjolaine jetait un à un les grains de sable. Sept fois ils tintaient contre la terre dure des cruches ; sept fois le silence recommençait.
– Ô Marjolaine, épouse Jean, lui disait la vieille nourrice tous les matins.
Alors Marjolaine fronça le sourcil lorsqu’elle voyait Jean, et Jean ne vint plus. Et la vieille nourrice fut trouvée morte, une aube, assez souriante. Et Marjolaine mit une robe noire, une cornette sombre, et continua de filer.
Toutes les nuits elle se levait, et, comme Morgiane, elle jetait contre les cruches des grains de sable pour éveiller les mystères. Et les rêves dormaient toujours.
Marjolaine devint vieille en sa patience. Mais le prince emprisonné sous le sceau du roi Salomon était toujours jeune, sans doute, ayant vécu des milliers d’années. Une nuit de pleine lune, la rêveuse se leva comme une assassine, et prit un marteau. Elle brisa furieusement six cruches, et la sueur d’angoisse coulait de son front. Les vases claquèrent et s’ouvrirent : ils étaient vides. Elle hésita devant la cruche où Lilith avait versé le Paradis violet ; puis elle l’assassina comme les autres. Parmi les débris roula une rose sèche et grise de Jéricho. Quand Marjolaine voulut la faire fleurir, elle s’éparpilla en poussière.

mardi 26 avril 2011

Marcel Schwob - l'insensible

La princesse Morgane n’aimait personne. Elle avait une candeur froide, et vivait parmi les fleurs et les miroirs. Elle piquait dans ses cheveux des roses rouges et se regardait. Elle ne voyait aucune jeune fille ni aucun jeune homme parce qu’elle se mirait dans leurs regards. Et la cruauté ou la volupté lui étaient inconnues. Ses cheveux noirs descendaient autour de son visage comme des vagues lentes. Elle désirait s’aimer elle-même : mais l’image des miroirs avait une frigidité calme et lointaine, et l’image des étangs était morne et pâle, et l’image des rivières fuyait en tremblant.
La princesse Morgane avait lu dans les livres l’histoire du miroir de Blanche-Neige qui savait parler et lui annonça son égorgement, et le conte du miroir d’Ilsée, d’où sortit une autre Ilsée qui tua Ilsée, et l’aventure du miroir nocturne de la ville de Milet qui faisait s’étrangler les Milésiennes à la nuit levante. Elle avait vu la peinture mystérieuse où le fiancé a étendu un glaive devant sa fiancée, parce qu’ils se sont rencontrés eux-mêmes dans la brume du soir : car les doubles menacent la mort. Mais elle ne craignait pas son image, puisque jamais elle ne s’était rencontrée, sinon candide et voilée, non cruelle et voluptueuse, elle-même pour elle-même. Et les lames polies d’or vert, les lourdes nappes de vif-argent ne montraient point Morgane à Morgane.
Les prêtres de son pays étaient géomanciens et adorateurs du feu. Ils disposèrent le sable dans la boîte carrée, et y tracèrent les lignes ; ils calculèrent au moyen de leurs talismans de parchemin, ils firent le miroir noir avec de l’eau mélangée de fumée. Et le soir Morgane se rendit vers eux, et elle jeta dans le feu trois gâteaux d’offrande. « Voici, » dit le géomancien ; et il montra le miroir noir liquide. Morgane regarda et d’abord une vapeur claire traîna par la surface, puis un cercle coloré bouillonna, puis une image s’éleva et courut légèrement. C’était une maison blanche cubique avec de longues fenêtres ; et sous la troisième fenêtre pendait un grand anneau de bronze. Et tout autour de la maison régnait le sable gris. « Ceci est l’endroit, dit le géomancien, où se trouve le véritable miroir ; mais notre science ne peut le fixer ni l’expliquer. »
Morgane s’inclina et jeta dans le feu trois nouveaux gâteaux d’offrande. Mais l’image vacilla, et s’obscurcit ; la maison blanche s’enfonça et Morgane regarda vainement le miroir noir.
Et, au jour suivant, Morgane désira faire un voyage. Car il lui semblait avoir reconnu la couleur morne du sable et elle se dirigea vers l’Occident. Son père lui donna une caravane choisie, avec des mules à clochettes d’argent, et on la portait dans une litière dont les parois étaient des miroirs précieux.
Ainsi elle traversa la Perse, et elle examinait les hôtelleries isolées, tant celles qui sont bâties près des puits et où passent les troupes de voyageurs que les maisons décriées où les femmes chantent la nuit et battent des pièces de métal.
Et près des confins du royaume de Perse elle vit beaucoup de maisons blanches, cubiques, aux fenêtres longues ; mais l’anneau de bronze n’y était point pendu. Et on lui dit que l’anneau se trouverait au pays chrétien de Syrie, à l’Occident.
Morgane passa les rives plates du fleuve qui environne la contrée des plaines humides, où croissent des forêts de réglisse. Il y avait des châteaux creusés dans une seule pierre étroite, qui était posée sur la pointe extrême ; et les femmes assises au soleil sur le passage de la caravane avaient des torsades de crin roux autour du front. Et là vivent ceux qui mènent des troupeaux de chevaux, et portent des lances à pointe d’argent.
Et plus loin est une montagne sauvage habitée par des bandits qui boivent l’eau-de-vie de blé en l’honneur de leurs divinités. Ils adorent des pierres vertes de forme étrange, et se prostituent les uns aux autres parmi des cercles de buissons enflammés. Morgane eut horreur d’eux.
Et plus loin est une cité souterraine d’hommes noirs qui ne sont visités par leurs dieux que pendant leur sommeil. Ils mangent les fibres du chanvre, et se couvrent le visage avec de la poudre de craie. Et ceux qui s’enivrent avec le chanvre pendant la nuit fendent le cou de ceux qui dorment, afin de les envoyer vers les divinités nocturnes. Morgane eut horreur d’eux.
Et plus loin s’étend le désert de sable gris, où les plantes et les pierres sont pareilles au sable. Et à l’entrée de ce désert Morgane trouva l’hôtellerie de l’anneau.
Elle fit arrêter sa litière, et les muletiers déchargèrent les mules. C’était une maison ancienne, bâtie sans l’aide du ciment ; et les blocs de pierre étaient blanchis par le soleil. Mais le maître de l’hôtellerie ne put lui parler du miroir : car il ne le connaissait point.
Et le soir, après qu’on eut mangé les galettes minces, le maître dit à Morgane que cette maison de l’anneau avait été dans les temps anciens la demeure d’une reine cruelle. Et elle fut punie de sa cruauté. Car elle avait ordonné de couper la tête à un homme religieux qui vivait solitaire au milieu de l’étendue de sable et faisait baigner les voyageurs avec de bonnes paroles dans l’eau du fleuve. Et aussitôt après cette reine périt, avec toute sa race. Et la chambre de la reine fut murée dans sa maison. Le maître de l’hôtellerie montra à Morgane la porte bouchée par des pierres.
Puis les voyageurs de l’hôtellerie se couchèrent dans les salles carrées et sous l’auvent. Mais vers le milieu de la nuit, Morgane éveilla ses muletiers, et fit enfoncer la porte murée. Et elle entra par la brèche poussiéreuse, avec un flambeau de fer.
Et les gens de Morgane entendirent un cri, et suivirent la princesse. Elle était agenouillée au milieu de la chambre murée, devant un plat de cuivre battu rempli de sang, et elle le regardait ardemment. Et le maître de l’hôtellerie leva les bras : car le sang du bassin n’était pas tari dans la chambre close depuis que la reine cruelle y avait fait placer une tête coupée.
Personne ne sait ce que la princesse Morgane vit dans le miroir de sang. Mais sur la route du retour ses muletiers furent trouvés assassinés, un à un, chaque nuit, leur face grise tournée vers le ciel, après qu’ils avaient pénétré dans sa litière. Et on nomma cette princesse Morgane la Rouge, et elle fut une fameuse prostituée et une terrible égorgeuse d’hommes.

lundi 25 avril 2011

Marcel Schwob - la fidèle

L’amoureux de Jeanie était devenu matelot, et elle était seule, toute seule. Elle écrivit une lettre et la scella de son petit doigt, et la jeta dans la rivière, parmi les longues herbes rouges. Ainsi elle irait jusqu’à l’Océan. Jeanie ne savait pas vraiment écrire ; mais son amoureux devait comprendre, puisque la lettre était d’amour. Et elle attendit longtemps la réponse, venue de la mer ; et la réponse ne vint pas. Il n’y avait pas de rivière pour couler de lui jusqu’à Jeanie.
Et un jour Jeanie partit à la recherche de son amoureux. Elle regardait les fleurs d’eau et leurs tiges penchées ; et toutes les fleurs s’inclinaient vers lui. Et Jeanie disait en marchant : « Sur la mer il y a un bateau – dans le bateau il y a une chambre – dans la chambre il y a une cage – dans la cage il y a un oiseau – dans l’oiseau il y a un cœur dans le cœur il y a une lettre – dans la lettre il y a écrit : J’aime Jeanie. – J’aime Jeanie est dans la lettre, la lettre est dans le cœur, le cœur est dans l’oiseau, l’oiseau est dans la cage, la cage est dans la chambre, la chambre est dans le bateau, le bateau est très loin sur la grande mer. »
Et comme Jeanie ne craignait pas les hommes, les meuniers poussiéreux, la voyant simple et douce, l’anneau d’or au doigt, lui offraient du pain et lui permettaient de coucher parmi les sacs de farine, avec un baiser blanc.
Ainsi elle traversa son pays de rochers fauves, et la contrée des basses forêts, et les prairies plates qui entourent le fleuve près des cités. Beaucoup de ceux qui hébergeaient Jeanie lui donnaient des baisers ; mais elle ne les rendait jamais – car les baisers infidèles que rendent les amantes sont marqués sur leurs joues avec des traces de sang.
Elle parvint dans la ville maritime où son amoureux s’était embarqué. Sur le port, elle chercha le nom de son navire, mais elle ne put le trouver, car le navire avait été envoyé dans la mer d’Amérique, pensa Jeanie.
Des rues noires obliques descendaient aux quais des hauteurs de la ville. Certaines étaient pavées, avec un ruisseau dans le milieu ; d’autres n’étaient que d’étroits escaliers faits de dalles anciennes.
Jeanie aperçut des maisons peintes en jaune et en bleu avec des têtes de négresse et des images d’oiseaux à bec rouge. Le soir, de grosses lanternes se balancèrent devant les portes. On y voyait entrer des hommes qui paraissaient ivres.
Jeanie pensa que c’étaient les hôtelleries des matelots revenant du pays des femmes noires et des oiseaux de couleur. Et elle eut un grand désir d’attendre son amoureux dans une telle hôtellerie, qui avait peut-être l’odeur du lointain Océan.
Levant la tête, elle vit des figures blanches de femmes, appuyées aux fenêtres grillées, où elles prenaient un peu de fraîcheur. Jeanie poussa une double porte, et se trouva dans une salle carrelée, parmi des femmes demi-nues, avec des robes roses. Au fond de l’ombre chaude un perroquet faisait mouvoir lentement ses paupières. Il y avait encore un peu de mousse dans trois gros verres étranglés, sur la table.
Quatre femmes entourèrent Jeanie en riant, et elle en aperçut une autre vêtue d’étoffe sombre, qui cousait dans une petite loge.
– Elle est de la campagne, dit une des femmes.
– Chut ! dit une autre, faut rien dire.
Et toutes ensemble lui crièrent :
– Veux-tu boire, mignonne ?
Jeanie se laissa embrasser, et but dans un des verres étranglés. Une grosse femme vit l’anneau.
Toutes ensemble reprirent :
– T’es mariée, mignonne ?
Jeanie rougit, car elle ne savait si elle était vraiment mariée, ni comment on devait répondre.
– Je les connais, ces mariées, dit une femme. Moi aussi, quand j’étais petite, quand j’avais sept ans, je n’avais pas de jupon. Je suis allée toute nue au bois pour bâtir mon église – et tous les petits oiseaux m’aidaient à travailler ! Il y avait le vautour pour arracher la pierre, et le pigeon, avec son gros bec, pour la tailler, et le bouvreuil pour jouer de l’orgue. Voilà mon église de noces et ma messe.
– Mais cette mignonne a son alliance, pas ? dit la grosse femme.
Et toutes ensemble crièrent :
– Vrai, une alliance ?
Alors elles embrassèrent Jeanie l’une après l’autre, et la caressèrent, et la firent boire, et on parvint à faire sourire la dame qui cousait dans la petite loge.
Cependant un violon jouait devant la porte et Jeanie s’était endormie. Deux femmes la portèrent doucement sur un lit, dans une chambrette, par un petit escalier.
Puis toutes ensemble dirent :
– Faut lui donner quelque chose. Mais. quoi ?
Le perroquet se réveilla et jabota.
– Je vas vous dire, expliqua la grosse.
Et elle parla longuement à voix basse. Une des femmes s’essuya les yeux.
– C’est vrai, dit-elle, nous n’en avons pas eu, ça nous portera bonheur.
– Pas ? elle pour nous quatre, dit une autre.
– On va demander à Madame de nous permettre, dit la grosse.
Et le lendemain, quand Jeanie s’en alla, elle avait à chaque doigt de sa main gauche un anneau d’alliance. Son amoureux était bien loin ; mais elle frapperait à son cœur, pour y rentrer, avec ses cinq anneaux d’or.

jeudi 7 avril 2011

Les contresens de Juan Asensio, par Jean-Yves Pranchère

Le but de mon blog n'a jamais été d'être critique ou polémique : il est un espace dans lequel évolue mon hétéronyme Simon Melmoth et il est un espace ou je donne à lire mes différents essais d'écriture.
Mais une fois n'est pas coutume, il est aujourd'hui ouvert à mon ami Jean-Yves Pranchère, pour qu'il réponde à un post de M. Juan Asensio. (que l'on peut lire ici)
Je rappelle que je suis chez moi, sur ce blog, et que les commentaires sont modérés.




Les contresens de Juan Asensio, par Jean-Yves Pranchère

Juan Asensio vient de faire paraître sur son blog un billet contre un de mes articles. C’est son droit le plus strict, et son texte aurait pu être intéressant s’il avait été inspiré, plutôt que par des motifs d’ordre personnel, par un véritable esprit critique.
Mais cet article n’est dû qu’à ce que je me suis défendu par les moyens du droit contre les étranges pratiques de Juan Asensio. L’une des plus étranges me semble être celle qui consiste à utiliser des pseudonymes pour tenter d’entrer dans la vie privée de ceux qui sont en désaccord avec lui.
Aujourd’hui, Juan Asensio renonce à ses pseudonymes et croit attaquer un de mes textes. Peut-être aussi croit-il se venger de m’avoir autrefois écrit qu’il avait «apprécié» mes travaux sur Joseph de Maistre et qu’il me tenait pour un «auteur».
Malheureusement pour lui, la malveillance n’est pas un bon guide. Juan Asensio est si pressé de polémiquer qu’il ne lit pas le texte qu’il croit commenter. C’est ainsi qu’il me prête toutes sortes de confusions qui ne sont que dans son propre esprit.
Comme il serait vain et fastidieux de faire le relevé des bévues et des méprises que son billet multiplie, je me contenterai de deux exemples.
— Juan Asensio juge fausse la phrase suivante: «Parce qu’elle se fonde sur le constat de l’effondrement des hiérarchies, l’anti-modernité avoue son impuissance à y remédier».
Voici son commentaire:
«J’ai beau relire cette phrase, je n’ai toujours point perçu la solidité de la concaténation qu’elle prétend établir car enfin, on peut constater l’effondrement des hiérarchies tout en se proposant, politiquement, socialement, religieusement, d’y remédier.»
Au lieu de relire cette seule phrase, il aurait dû, pour la comprendre, relire les phrases qui la précèdent et en donnent le sens. J’avais écrit:
«Prétendre restaurer politiquement le sacré, ce serait le nier dans sa sacralité même: ce serait en faire le produit d’une fabrication humaine et lui refuser l’aura du divin.»
Il s’agissait donc, dans mon propos, de la restauration politique du sacré. Hiérarchie vient de hieros, qui signifie sacré: traiter le sacré comme un produit du politique, c’est en faire un artifice humain, c’est le profaner — tel est le paradoxe qui a échappé à Juan Asensio. Le sacré n’est pas une décision humaine.
— Juan Asensio enchaîne ainsi:
«Il n’est ainsi point étonnant de constater que Pranchère assimile cette ou plutôt ces tentatives de réinstauration d’un ordre hiérarchique avec une seule et unique réalité: "les compromissions, nous dit-il, avec l’esprit et la réalité du fascisme". Je doute qu’il faudrait plus de quelques lignes à un historien pour balayer une affirmation aussi téméraire, ou plutôt, parfaitement fausse.»
Ici, Juan Asensio falsifie le texte qu’il cite.
J’avais écrit:
«Le dandysme d’un Baudelaire est sans commune mesure avec les tentatives de traduction politique active de l’anti-modernité – tentatives qui, de Maurras à Carl Schmitt en passant par Heidegger,  n’ont conduit qu’aux compromissions avec l’esprit et la réalité du fascisme».
On voit que je ne parlais pas des "tentatives de réinstauration d’un ordre hiérarchique" en général, comme Juan Asensio tente de le faire croire. Je parlais de trois auteurs précis, dont Juan Asensio a effacé les noms.
Que la défense de la hiérarchie ne se confonde pas avec le fascisme, je l’ai moi-même dit dans un passage de mon livre sur Maistre qui discutait la thèse d’Isaiah Berlin selon laquelle Maistre aurait été un "proto-fasciste".
Ici, il ne s’agissait pas de cela, mais bien des "tentatives de traduction politique active de l’anti-modernité, de Maurras à Carl Schmitt en passant par Heidegger": tous les trois, en effet, se sont compromis avec le fascisme. (On ne supposera pas que Juan Asensio veuille nier que Maurras a écrit des éloges de Mussolini et que Schmitt et Heidegger ont été membres du parti nazi.)

La polémique n’est rien, si elle n’est pas soutenue par la probité philologique. Face à la pratique de la citation tronquée, il n’est qu’une réponse: la restitution du texte.
Je remercie mon ami Emmanuel de m’ouvrir son blog pour que je puisse y publier le texte qui fait l’objet des erreurs de lecture de Juan Asensio.
Il s’agit de l’introduction d’un article paru dans un volume dirigé par Christophe Ippolito, Résistances à la modernité dans la littérature française de 1800 à nos jours, Paris, 2010. L’étude est consacrée à trois écrivains qui passent pour "anti-modernes": Chateaubriand, Maurras, Renaud Camus.
En m’appuyant sur les analyses de Jauss, de Meschonnic et de Compagnon, j’y rappelle qu’il faut distinguer trois significations de la modernité:
1/la modernité au sens défini par Baudelaire, comme un rapport au temps caractérisé par la volonté de saisir l’éternel dans le présent, ou encore de saisir "l’éternel du transitoire";
2/la modernité au sens du modernisme, comme recherche de la nouveauté et comme anti-tradition;
3/la modernité au sens des grandes philosophies de l’histoire, comme "essence" ou "logique" des temps modernes (essence ou logique qui fait l’objet d’interprétations multiples).
Ces trois significations ne sont pas convergentes; ma thèse est que seul le traditionalisme est susceptible de les unifier en une seule.
Mais cette unification échoue: la modernité au sens de Baudelaire n’est pas une "époque"; elle n’est rien d’autre qu’un aspect du rapport chrétien au temps. Ce n’est pas un hasard si, historiquement, le mot "moderne" est apparu dans l’antiquité en conséquence de la nouvelle conscience du temps induite par la rupture chrétienne. Jean-François Lyotard avait coutume de dire que le premier moderne était saint Augustin.
Ce lien du christianisme à la modernité est présent chez Chateaubriand. Il reste présent chez un catholique intransigeant tel qu’Ernest Hello. Celui-ci identifie l’art moderne au christianisme quand il écrit que «l’art moderne, s’il est vraiment moderne, (…) a pour principe et pour fin l’idée» et que «dans l’art moderne, l’idée dérange la forme. Ne pouvant être contenue par elle, elle la brise en éclatant, et la forme brisée laisse apercevoir derrière ses ruines un horizon immense.»
On voit que l’anti-modernité n’est pas univoque.


Jean-Yves Pranchère


Tragique ou futilité anti-moderne ?
Chateaubriand, Maurras, Renaud Camus


La notion de « résistances à la modernité », parce qu’elle met les résistances au pluriel et la modernité au singulier, suggère une représentation de la modernité comme un processus écrasant, comme le développement d’une logique d’ensemble si puissante qu’il ne serait possible de lui opposer aucun obstacle de taille égale, aucun contre-modèle ou contre-projet, mais seulement des résistances, inévitablement locales et dispersées, vouées à ne rien pouvoir faire de plus que ralentir ou canaliser un cours inexorable qui semble se confondre avec le cours du temps ou de ce « progrès » qui est une des versions de la « modernité ».
Peut-être faut-il « résister » à cette idée de la modernité qui écrase en une seule image des processus historiques dont l’homogénéité n’est pas garantie. L’idée de la modernité reste incertaine : à preuve la multitude des interprétations auxquelles elle a donné lieu. Car il ne revient pas au même de la définir par le progrès des Lumières (Condorcet) ou par la libération capitaliste d’une productivité sans autre but qu’elle-même (Marx) ; par l’avènement à soi de l’Esprit conscient de sa liberté (Hegel) ou par l’instauration d’un âge positif et industriel, délivré de toute métaphysique (Comte) ; par le « désenchantement du monde » et la spécialisation des sphères de la rationalité (Max Weber), ou par le triomphe de la médiocrité démocratique (Nietzsche) ; par le « projet d’autonomie » qui porte les idéaux des droits de l’homme (Habermas), ou par l’oubli de l’être et de la préséance du monde au profit de la seule subjectivité humaine qui induit « la fuite des dieux, la destruction de la terre, la grégarisation de l’homme » (Heidegger).
Le paradoxe est cependant que, en vertu des échos qui résonnent de l’une à l’autre jusque dans leurs oppositions, ces diverses grandes conceptions de la modernité renforcent l’image de la modernité comme un unique processus auquel renverraient aussi bien la mondialisation marchande que l’art non figuratif, la poésie baudelairienne, le puritanisme calviniste, la laïcisation de l’Etat, l’irruption des guerres mondiales, l’émergence de l’Etat-nation ou le développement illimité de la technique. L’idée d’une logique unitaire des temps modernes se trouve accréditée par la multitude des « grands récits » qui en rendent compte, alors même que cette multitude brouille l’image de la modernité dont les ressorts et les contours historiques s’avèrent sujets à d’infinies contestations.
Car il ne va pas de soi qu’il faille dater la modernité par le début des temps modernes : la conscience d’être moderne apparaît bien avant la Renaissance. Etienne Gilson a montré que tous les traits de « l’individu moderne » étaient déjà présents chez Héloïse et Abélard. Le mot même de moderne est un mot antique : Jauss, qui en a fait l’histoire, rappelle que modernus est un mot forgé par les chrétiens du Ve siècle, un mot solidaire de la nouvelle conscience historique introduite par le christianisme. La notion de « modernité », elle, n’apparaît qu’au XIXe siècle. Quant à l’usage qui confond parfois modernité et nouveauté, il déstabilise toute conception chronologique de la modernité en obligeant à constamment la rapprocher du présent. La Querelle des Anciens et des Modernes est une querelle du XVIIe siècle, mais il est fréquent d’entendre que la modernité littéraire ne commence qu’avec Mallarmé, Proust ou Joyce. Zeev Sternhell, dans un livre récent, identifie la modernité proprement dite aux Lumières. Péguy datait le monde moderne de l’année 1881.
Faut-il définir la modernité par la nouveauté, comme le caractère d’une époque éprise d’innovation et de progrès ? On objectera que la notion de modernité ne s’est pas formée pour désigner une époque, mais plutôt le mode d’une relation au présent, ou « une manière d’être au temps » [1]. Cette présence au présent n’impose aucune croyance au progrès ou en un cours supposé de l’histoire. La première revendication explicite de la « modernité » est due à Baudelaire, qui la définit comme la saisie de l’éternel contenu dans le présent qui passe, comme un rapport à l’éternel du transitoire [2] ; or, Baudelaire fut aussi un admirateur fervent de cet anti-moderne décidé que fut Joseph de Maistre, et un ennemi résolu de l’idéologie du progrès. La modernité n’est pas le progrès, mais l’effort pour s’attacher à ce qui, dans le présent même, échappe à la continuité homogène du temps et à son passage ; c’est pourquoi, dans la lignée de Baudelaire, des auteurs comme Henri Meschonnic ou Antoine Compagnon [3] ont dénoncé la confusion de la modernité avec le modernisme (idéologie de l’avant-gardisme, soucieuse d’anticiper le futur plutôt que de saisir l’unicité du présent) ou avec la modernisation (qui désigne l’alignement des provinces sur le dernier état des techniques, de l’industrie et des relations marchandes).
On peut juger inextricable l’écheveau que forment les différentes conceptions philosophico-historiques de la modernité comme essence ou « projet » des temps modernes, le sentiment de « modernité » inauguré par la rupture chrétienne et sa nouvelle conscience du temps, la notion esthétique de modernité héritée de Baudelaire et soumise depuis aux transformations de l’histoire de l’art. Paradoxalement, ce n’est peut-être que sous le regard anti-moderne que ces différents aspects de la modernité forment une unité homogène : pour identifier une logique des temps modernes qui serait la modernité, il faut adopter une position « traditionaliste » qui dénonce l’accélération moderne comme le mouvement d’une anti-tradition toujours plus radicale. Comprise comme la recherche de la rupture toujours plus radicale avec la tradition, comme l’« insurrection de l’homme donnant dans l’exclusif se-vouloir de sa volonté propre » [4], la modernité est le mouvement de ce « nihilisme » qui, pour des auteurs aussi différents que Joseph de Maistre, Nietzsche ou Heidegger, se confond avec la logique de l’individualisme et de l’égalitarisme démocratiques, avec le délitement des figures du sacré et de l’autorité, avec la menace d’un radical « déracinement » de l’humanité emportée loin d’elle-même par un progrès technique sans autre but que sa propre intensification.
On ne saurait nier la puissance à laquelle atteint la critique de la modernité lorsqu’elle atteint une forme aussi conséquente et radicale que celle qu’elle reçoit dans la philosophie tardive de Heidegger. Il est cependant à craindre que cette puissance ne soit conquise au prix d’une abstraction qui fait trop bon marché de la complexité réelle des processus historiques. Le désenchantement du monde (que Max Weber n’identifiait pas à l’incroyance mais au puritanisme protestant), la laïcité, le progrès des sciences, le capitalisme, le libéralisme politique et ses variantes, la démocratie et ses variantes, l’Etat de droit, la formation des nations, la mondialisation du monde : aucun de ces phénomènes historiquement enchevêtrés, mais non identiques, n’est expliqué ou compris par le renvoi à « l’individualisme » et au « mépris de la tradition » qui n’en sont que l’écume. Comprise comme le déploiement de l’individualisme ou de l’anti-tradition, la modernité ne reçoit qu’une définition négative, incapable de rendre compte des forces positives et des énergies historiques qui seules ont pu porter les négations et les ruptures « modernes ».
Le risque – d’ailleurs aperçu par Heidegger – est que la critique de la modernité ne prenne dès lors la forme d’un schéma vide, indifférent à la diversité des contextes et à l’instabilité des processus historiques. La résistance à la modernité, soucieuse d’entraver ce qu’elle perçoit comme un processus de nivellement des traditions et des individualités historiques ou nationales, s’alimenterait alors à un stéréotype dédaigneux de ce qu’elle voudrait pourtant faire reconnaître : l’irréductibilité des singularités locales ou nationales ; l’absence d’un sens de l’histoire auquel il faudrait se soumettre.
La marque du stéréotype est qu’il peut être utilisé à l’identique dans des contextes sans commune mesure. A se limiter au seul domaine francophone, qui considère les discours du refus de la modernité ne peut qu’être frappé par la permanence des thèmes à travers les deux derniers siècles. De Joseph de Maistre à Renaud Camus en passant par Baudelaire, Flaubert, Renan, Taine, Maurras et sa suite, il semble qu’un même diagnostic soit indéfiniment répété : le monde moderne est le théâtre d’une décivilisation, d’un effondrement de la culture et de l’éducation, d’une effroyable massification des esprits, d’une destruction des diversités liées aux enracinements locaux et nationaux, d’une démoralisation, à tous les sens de ce mot, dont le symptôme est la disparition, avec les loyautés anciennes, des normes du respect et du bon goût.
La répétition de ce diagnostic de déclin suscite un sentiment d’étrangeté : quelle est donc cette catastrophe continuellement reproduite à l’identique, qui fait surgir à chaque fois le passé récent comme un idéal perdu ? Quel est donc ce « passé » par rapport auquel le présent est à chaque fois en déclin ? La dénonciation du « moderne » pourrait bien n’avoir pour ressort qu’une image fictive d’un passé qui n’a jamais existé. Le discours anti-moderne s’avèrerait alors n’être qu’une dépendance de la modernité qu’il refuse, tirant par négation tout son contenu du présent.
La défense de la tradition semble imposer une défense de la sacralité du passé en même temps que des inégalités héritées, autrement dit, – pour utiliser le mot qui fond ensemble le sens du sacré, le respect des principes et la distribution inégale du pouvoir, – une défense des hiérarchies. « Modernité » est précisément le nom de la désacralisation (ou « sécularisation ») des héritages culturels et des inégalités qui leur sont associées. Ici surgit la difficulté : on peut déplorer le recul du sacré, on ne peut pas faire de sa restauration l’objet d’une politique. Prétendre restaurer politiquement le sacré, ce serait le nier dans sa sacralité même : ce serait en faire le produit d’une fabrication humaine et lui refuser l’aura du divin. En d’autres termes : parce qu’elle se fonde sur le constat de l’effondrement des hiérarchies, l’anti-modernité avoue son impuissance à y remédier. La modernité triomphe parce que les inégalités ont perdu leur prestige, que les héritages sont à l’abandon et les traditions en ruine ;  c’est donc que les ressorts d’une restauration font défaut.
Le discours antimoderne se trouve alors plongé dans le paradoxe d’être un discours à la fois intensément politique et structurellement anti-politique : un discours intensément tragique, puisqu’il décrit l’existence moderne comme un désastre qui s’étend, et structurellement futile, puisqu’il ne peut opposer à ce désastre que le ressassement d’un lamento, constamment menacé de virer à la pose esthète du dandysme. Sans doute est-ce le caractère de la plainte que d’être monocorde, ainsi que le note Chateaubriand ; sans doute encore le dandysme d’un Baudelaire est-il sans commune mesure avec les tentatives de traduction politique active de l’anti-modernité – tentatives qui, de Maurras à Carl Schmitt en passant par Heidegger, n’ont conduit qu’aux compromissions avec l’esprit et la réalité du fascisme ; mais ces compromissions ont témoigné de ce qu’il faut bien nommer une futilité politique, manifestée par la hâte à projeter des rêves d’ordre ou d’authenticité sur la réalité sinistre des violences totalitaires et des conformismes de masse.
Il ne serait pas indifférent, dès lors, que le discours anti-moderne soit si souvent un discours littéraire, un discours d’écrivains venus à la politique à partir de la littérature ; un discours qui porte en son cœur la question de la relation de la société à la langue, et du fait politique au fait littéraire.

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[1] Myriam Revault d’Allonnes, « Ce que disent les modernes », in Modernité et sécularisation, CNRS Editions, Paris, 2007, p. 55.
[2] Cf. Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, 1863, IV : La modernité. « Il cherche ce quelque chose qu’on nous permettra d’appeler la modernité ; car il ne se présente pas de meilleur mot pour exprimer l’idée en question. Il s’agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer l’éternel du transitoire. »
[3] H. Meschonnic, Modernité modernité, Verdier, Lagrasse, 1988,. A. Compagnon,  Les Cinq paradoxes de la modernité, Seuil, Paris, 1990.
[4] M. Heidegger, Nietzsche, t. II, tr. P. Klossowski, Gallimard, Paris, 1971, p. 303.