dimanche 28 février 2010

F.-Machine (I)

I

Pendant dix ans, il se cacha pour écrire. Son père méprisait toute littérature
A quoi bon perdre son temps à lire, encore lire ?
Et s’endormit la première fois que son fils lui lut une de ses œuvres.

Pendant dix ans, il écrivit en cachette ; il s’en ouvrit à quelques amis qui peuvent se compter sur les doigts d’une main. Ce fut pour lui, cependant, une période d’abondante création : courts romans, nouvelles, ébauches, drames… des envies et de l’exaltation. Ce qu’il ne connaîtra plus ensuite

Il n’a jamais connu la création allègre, abondante, heureuse, se plaisant, se jouant et souriant à son jaillissement à la source.

Il lira à ses amis ses nouvelles. Il les invite chez lui dans son appartement et leur fait la lecture. Il est précoce. Il le sait. Au bout de sa plume il y a du génie, il y a un génie : lui.

Ma vie entière est placée devant moi comme un fantôme, et l’amer parfum des jours qui ne sont plus m’est revenu comme avec l’odeur de l’herbe séchée et des bois verts.




II


C’est dans la campagne, c’est-à-dire nulle part. Il y a une route de terre. Des pierres. La maison qui nous intéresse, de celui que nous allons suivre, est faite très simplement et le confort minimum, mais suffisant. Elle avait été achetée, cette proprillété, par le père pour en faire une maison de vacances.

Il s’y installa à 25 ans, pour y travailler, seul, loin de tous. Pouvoir, le soir, tranquillement, en fumant une cigarette, un cigare, la pipe, regarder le soleil se coucher derrière les arbres.

Les plus grands événements de ma vie ont été quelques pensées, des lectures, certains couchers de soleil (…) et des causeries de cinq à six heures consécutives avec un ami qui est maintenant marié et pendu pour moi.

De l’ami on reparlera.
Des pensées on y reviendra.
Plus tard.

S’enfermer, là, pour écrire, pour lire, pour lire et écrire. Tel était son vœux le plus cher et le réaliser à 25 ans, cela l’emplissait de joie, de bonheur, de félicité.
Il n’avait pas le goût des voyages, des périples.

On ne voyage pas pour voyager…

Il voulait être seul dans sa nouvelle tanière.

stupidity

 

Avital Ronell

Stupidity

nouvelle sarah
"La bêtise détermine l’état d’esprit qui afflige quiconque prétend écrire. Dans la mesure où l’écriture semble être réquisitionnée par quelque activité intérieure qui s’avère toujours trop immature, plutôt forte en gueule, et souvent encombrée d’un désordre narcissique prononcé, quelle que soit d’ailleurs votre envie de vous cacher ou de vous isoler ; dans la mesure encore, où le créateur en vous est en réalité trop intelligent pour les stupides postulats de la langue, trop mûr même pour les ruses du surmoi, et bien trop calme pour tenter de mettre en mots le Dire ; dans la mesure, enfin, où l’écriture vous fait sans cesse vivre le drame de l’objet perdu, mais jamais assez perdu, vous sommant une fois de plus de vous engager dans d’inutiles poursuites et de considérables régressions (…) l’écriture vous livre l’expérience de votre propre bêtise."

"Toutes les fois qu’il préparait un livre en vue de sa publication, Paul de Man était assailli par le sentiment coupable de regarder un film de série B. La mélancolie qu’il y a à contempler de nouveau son propre échec à surmonter dans l’écriture, un niveau élémentaire de la bêtise (la votre ou la leur) a été ressentie et exprimée par de nombreux écrivains ; parfois ce sentiment éthique, apparût-il à l’occasion de la publication d’un travail universitaire, se trouve relégué et miniaturisé à la page des remerciements, là où les personnes remerciées se voient exonérées de la responsabilité de la bêtise de l’œuvre à venir qu’annonce cette politique testamentaire de l’amitié."

"Ecrire, c’est passer chaque jour un nouvel examen, c’est préparer votre corps, adapter votre conduite, vous faire enregistrer (par respect) auprès du surmoi, mettre le moi sous sédatif – à moins que vous ne soyez l’un de ces crétins qui-se-connaissent-soi-même-et-veulent-partager-leur-singularité-en-écrivant-leurs-mémoires."

"La bêtise, quoique bienvenue au départ (lire Hegel, se droguer, vivre avec d’autres personnes), survient comme un traumatisme qui vous fait répéter sans fin ses protocoles."



mercredi 24 février 2010

Nous qui avons toujours vécu au château...

nouvelle sarah
   Te rappelles-tu, Constance, comme j’étais en forme ce matin-là, dans le jardin ?

lundi 22 février 2010

On a beau...

On a beau relire le roman ; le jouer et le rejouer à chaque lecture. On lui redonne à chaque fois une chance ; à elle, à lui. Se dire que non, cette fois-ci, ils ne vont pas refaire la même erreur : et pourtant depuis 332 ans, non, décidément non, elle ne couche pas. On le voudrait bien ; allez, ne serait-ce qu'une fois, seulement une fois, uniquement pour nous ; mais non, depuis 332 ans, elle est, et reste la femme la plus fidèle.

(elle prend des cours de latin, mais quand son professeur lui fait conjuguer le verbe "aimer", elle ne le conjugue qu'au futur ; malicieuse)

"— Je suis votre confesseur et votre martyr.
— Et moi, je suis votre vierge."

samedi 20 février 2010

changer d'espace...

" Changer d'espace ; quitter celui de la narration et du récit - saturé, plein à craquer. Se déplacer vers celui du jeu : que je n'invente pas, que je ne découvre pas ; pas une nouvelle Amérique. Mais juste un endroit plus vaste, moins habité, dans lequel on peut encore bâtir une demeure, peut-être plus personnelle. 
Ne pas être dupe, non plus : tout comme il n'y a plus d'endroit inconnu sur Terre, il n'y a plus d'espace vierge pour l'écriture ; mais certains sont moins peuplés, moins fréquentés. 
L'espace du jeu ; devenir l'acteur d'une scénographie que je vais me créer, d'un jeu qui va se dérouler dans un espace multiple, imposant sa loi et je l'espère sa propre transgression... "

C'est ce que m'expliquait, un soir de février, Simon Melmoth.

mardi 16 février 2010

we can be heroes

 



Carson McCullers

(1917-1967)







« La plupart d’entre nous préfèrent être celui qui aime. Car la stricte vérité, c’est que d’une façon profondément secrète, pour la plupart d’entre nous, être aimé est insupportable. »


La Ballade du café triste

dimanche 14 février 2010

lecture

 



"(...) c'est d'abord cela que veut dire le mot totalitaire : ne pas supporter l'inachèvement, ne pas supporter l'ouverture de la communauté à ce qu'elle ne peut pas réaliser. Ou si vous préférez, c'est aussi bien toute la question du mot de passe : "si tu connais le mot de passe, tu entres, si tu ne le connais pas, tu n'entres pas."C'est ce fonctionnement-là qui est véritablement l'ennemi, et qui doit être aboli. Le mot de passe c'est une sur-substantification du nom qui tire le langage hors de lui. C'est pour cela que la littérature est au fond le seul bon modèle politique dont on dispose : parce qu'elle récuse dès le départ le mot de passe, parce qu'elle n'a de sens qu'à ouvrir le langage.

La littérature, et pas l'art ?

Si, l'art aussi, évidemment. Mais pas n'importe quel art (et pas n'importe quelle littérature non plus). Prenez la dernière polémique au sujet de l'exposition de Jeff Kons à Versailles, mais c'était misérable. Nous faire croire qu'en face d'une droite catholique coincée existerait une avant-garde ouverte et dérangeante que cet homme-là représenterait, mais c'est une farce. Qui se continue avec l'artiste suivant : nous faire croire que la refonte d'un carrosse relooké origami dans la cour de Versailles puisse avoir un quelconque rapport avec l'avant-garde ou, plus simplement, avec la pensée, la pensée de l'art, c'est de la manipulation pure et simple. On n'a affaire ici qu'à deux petits camps réactionnaires qui fonctionnent l'un comme l'autre au mot de passe : d'un côté l'éternelle crétinerie de la bourgeoisie de province, si vous voulez, mais de l'autre des artistes et des ministres qui sont les pires larbins du capitalisme, ou d'un nouvel art de cour."

extrait de l'entretien de Jean-Christophe Bailly dans le numéro 50 de la revue Vacarme.

samedi 13 février 2010

we can be heroes

Vladimir Maïakovki
(1893-1930)
I]
Elle m’aime, elle ne m’aime pas
Je trie mes mains
Et j’ai cassé mes doigts.
Alors les premières têtes des marguerites
Secouées d’une chiquenaude
sont cueillies et sans doute
éparpillées en mai
que mes cheveux gris se révèlent
sous la coupe et la douche
que l’argent des années nous enserre éternellement !
honteuse sensation banale- sentiment que j’espère
que je jure
jamais elle ne reviendra vers moi.
[II]
C’est bientôt deux heures
Pas de doute tu dois déjà dormir
Dans la nuit
La voix lactée avec ses filigranes d’argent
Je ne suis pas pressé
Et rien en moi
Ne veille ni ne t’accable de télégrammes
[III]
La mer va pleurer
La mer va dormir
Comme ils disent.
L’incident s’est cassé la gueule.
Le bateau de l’amour de la vie
S’est brisé sur les rochers du quotidien trivial
Toi et moi sommes quittes ;
pas la peine de ressasser
Les injures de chacun
Les ennuis
Et les chagrins
[IV]
Tu vois,
En ce monde tous ces sommeils paisibles,
La nuit doit au ciel
Avec ses constellations d’argent
En une si belle heure que celle-ci
Quelqu’un alors s’élève et parle
Aux ères de l’histoire
Et à la création du monde.
[V]
Je connais le pouvoir des mots ; je connais le tocsin des mots
Ce n’est pas le genre que les boîtes applaudissent
De tels mots des cercueils peuvent jaillir de terre
Et iront s’étalant avec leurs quatre pieds en chêne ;
Parfois ils vous rejettent, pas de publication, pas d’édition.
Mais les mots sacro-saints qui vous étouffent continuent à galoper au dehors.
Vois comme le siècle nous cerne et tente de ramper
Pour lécher les mains calleuses de la poésie.
Je connais le pouvoir des mots. Comme broutilles qui tombent
Tels des pétales à côté de la piste de danse rehaussée.
Mais l’homme avec son âme, ses lèvres, ses os…

mardi 9 février 2010

bandit

 

"Elle sourit, elle dit que c'est la première fois, qu'elle ne savait pas avant de vous rencontrer que la mort pouvait se vivre."

lundi 1 février 2010

bandit



"faire de la citation une écriture, ce serait donc écrire sans oublier (le savoir, comme l'on sait, est au contraire destiné par essence à l'oubli; et tout lecteur tant soit peu averti ne manquerait pas de voir dans ce désir frénétique de ne rien laisser perdre, la conviction — ou du moins le soupçon — que l'essentiel s'est déjà perdu): le camp s'imagine prendre de court la mort, en se bondant d'une information toujours plus contemporaine." (Patrick Mauriès, Second Manifeste Camp)

on peut écouter un extrait : ici

et merci à V.S.