samedi 28 février 2009

E.S. à Tokyo.

C’était à Tokyo, vers six heures du matin. Sur la quai de la gare de Shinjuku, la Yamanote était prête à partir.
Des gens montaient, on se gênait ; on s’engouffrait.
Enfin le train partit.
Un jeune homme de 20 ans, cheveux longs, avait un livre dans la main gauche, de la main droite tenait la barre, et se laissait doucement porter par le rythme quasi-marin de la marche du train.
Il s’en retournait chez lui, après une nuit blanche. C’est grâce à un important héritage qu’il était ici. Il avait laissé ses études de droit, avait quitté la France et passait ses vacances, ici.
Chacun prenait sa place dans la voiture du train, chacun se posait, se calait pour se laisser aller, dormir aussi.
Il pensait à sa chambre qu’il allait bientôt rejoindre. Son lit dans lequel il allait se blottir.
A côté de lui, un robuste japonais, une quarantaine d’années, cheveux noirs et raides.
On ne se parlait pas. Personne ne parlait. Un lourd silence emplissait la voiture.
Une nouvelle station. On descendait, on montait.
Ce fut comme une apparition.
Il hésita à s’asseoir, laissa la place libérée. Il voulait continuer à la regarder.
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler ses manœuvres.
Et il se planta tout à côté d’elle.
Jamais il n’avait vu une telle splendeur : peau blanche, séduction de la taille, finesse des doigts ; il en était tout électrisé. 
Qui était–elle ?
A son poignet une chainette d’or, très fine, très délicate.
Elle ressemblait à un rêve.
Il l’aimait.

vendredi 27 février 2009

we can be heroes




Laurence Durrell
(1912-1990)

"Une ville devient un univers lorsqu’on aime un seul de ses habitants."

jeudi 26 février 2009

Polaroid

J'appelle polaroid ce qui n'est plus, mais que nous avons pourtant vu. 
J'appelle polaroid cet instant fugace, beau comme l'amour et le bleu du ciel; qui est passé et qui ne reviendra pas.

J'appelle polaroid le présent avec toi.

dimanche 22 février 2009

Là je suis (IV)

Là je suis main sur le menton.
Là je suis mains dans le dos, au Collège de France.
Là je suis dans les bras de ma mère.
Là je suis dans mon bureau.
Là je suis allumant une cigarette, main gauche.
Là je suis en train de disparaître.
Là je suis dans mon bureau, encore, fumant, toujours.
Là je suis en Egypte.
Là je suis au milieu d'étudiants de mon séminaire.
Là je suis devant le tableau blanc, marqueur main gauche, cigarette aux lèvres, encore et toujours.
Là je suis en train de m'ennuyer, cigarette main gauche, à Milan.
Là je suis Place Tien an Men, mains dans le dos.
Là je suis au café Bonaparte, à Paris, riant avec mes amis.
Là je suis avec ma mère et mon demi-frère, ni mains dans le dos, ni en train de fumer.

dimanche 15 février 2009

"tu es amoureuse..."

Tu es amoureuse. Tu dis que tu es amoureuse. Tu es amoureuse et tu écris que tu es amoureuse. Tu penses à lui du soir au matin. Et tu sais que tu es amoureuse parce que tu penses à lui du matin au soir. Et tu sais que tu es amoureuse parce que ton cœur il bat fort quand tu penses à lui. Tu es amoureuse et tu écoutes ton cœur battre fort, bien fort, dans ta poitrine. Tu poses ta main sur ta poitrine pour sentir ton cœur battre fort, très fort. Tu penses à lui tout le temps, la main sur ta poitrine. Tu es amoureuse et tu as la posture de l’amour. Tu es amoureuse amourément.

Aimer verbe intransitif, parfois.
Aimer est tautologique. On aime aimer. On aime parce qu’on aime. L’amour est sans pourquoi. Voilà, c’est comme ça. Et tu n’y peux rien. Tu es amoureuse parce que tu es amoureuse. Tu aimes parce que tu aimes.
Tu aimes du soir au matin, tu aimes du matin au soir. C’est une nature, pas une fonction. C’est comme ça, c’est tout le temps. Quoi que tu fasses, tu es amoureuse. Tu penses à lui et tu es amoureuse. Simplement. Immédiatement. Profondément.

Tu es amoureuse et tu vois la beauté partout. Tu es amoureuse et le monde est différent. Le monde est ton monde quand tu es amoureuse.

Tu es amoureuse et c’est la première fois. Tu es amoureuse et ce n’est pas la première fois. Tu es amoureuse et ce n’est pas la dernière fois. Mais tu fais comme si c’était la dernière.

Tu es amoureuse mais tu ne veux pas ressembler à la Princesse de Clèves. Tu es amoureuse mais tu ne veux pas ressembler à Madame Bovary. Tu es amoureuse. Et c’est toi. Et ce n’est pas les autres. Les belles histoires, et les moins belles. Peu importe. Tu es amoureuse et c’est toi. Seulement toi. Etre toi et amoureuse.

Tu es amoureuse et tu te répètes. Etre amoureuse, c’est se redire, c’est le redire, encore et encore. Le mêmes mots. Les mêmes phrases. C’est une litanie. Douce.

Tu es amoureuse et tu désires. Embrasser, poser une main sur la joue.

Tu es amoureuse et le monde est si beau avec tes yeux d’amoureuse.

Est-il possible de ne pas être amoureuse, te demandes-tu, chaque fois que tu dis que tu es amoureuse, chaque fois que tu écris que tu es amoureuse.

A quoi ressemble le monde quand on n’est pas amoureuse ?

Quand tes yeux d’amoureuse cesseront de scintiller chaque fois que tu dis que tu es amoureuse, chaque fois que tu écris que tu es amoureuse, à quoi ressemblera le monde ?

lundi 9 février 2009

question

C'est quoi cette histoire ?

Comment ça a commencé ? Qu'est-ce qui a tout déclenché ?

On va faire comment ?

C'est quoi cette tour de l'Ouest ? C'est quoi cette tour du Sud ? c'est quoi cette tour du Nord ? C'est quoi cette tour de l'Est ? Et c'est quoi cette tour du Sud-Ouest ?

Ca va durer encore longtemps ?

C'est quoi là ?

C'est qui avec elle ?

On fait quoi maintenant ?

C'est qui cette putain de Reine des Neiges ?

Oui, c'est qui ?

jeudi 5 février 2009

we can be heroes





Michel Leiris
(1901-1990)

"Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles."