mardi 27 septembre 2011

... la vue étant le plus universel...


Dernièrement, je montais son escalier, je m’aperçois que le rideau d’une porte vitrée, soigneusement fermé d’ordinaire, laissait passer un petit jour sur le côté. Je ne sais comment j’eus la curiosité d’y appliquer l’œil. Une femme d’une taille élancée, et de la plus admirable conformation, vêtue magnifiquement, était assise dans cette chambre devant une petite table, sur laquelle elle appuyait ses deux bras, les mains croisées. Elle était placée vis-à-vis la porte, et je pus contempler l’angélique beauté de son visage. Mais elle, tournée vers moi, semblait ne pas me voir, ou plutôt ses yeux avaient je ne sais quel regard fixe, comme dénué, pour ainsi dire, d’aucune puissance de vision. Elle me faisait l’effet d’une personne qui dormirait les yeux ouverts. Je me sentis tout troublé, et je me glissai silencieusement dans la salle du cours, voisine de cet endroit.
Il n'y a point de doute que les inventions qui servent à augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui puissent être. Et il est malaisé d'en trouver aucune qui l'augmente davantage que celle de ces merveilleuses lunettes qui, n'étant en usage que depuis peu, nous ont déjà découvert de nouveaux astres dans le ciel, et d'autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant : en sorte que, portant notre vue beaucoup plus loin que n'avait coutume d'aller l'imagination de nos pères, elles semblent nous avoir ouvert le chemin, pour parvenir à une connaissance de la Nature beaucoup plus grande et plus parfaite qu'ils ne l'ont eue.
« Eh bien donc ! eh bien, des lounettes, — des lounettes pour mettre sul naso, voilà mes yeux à moi, — belli occhi, Signor ! » Et il sortait lunettes sur lunettes, si bien que toute la table commença à rayonner et à scintiller d’une singulière façon. Nathanael voyait des milliers d’yeux croiser sur lui leurs regards et s’agiter convulsivement, mais sans pouvoir détourner sa vue de cet aspect ; et Coppola déposait toujours plus de lunettes sur la table, et de nouveaux yeux étincelants lançaient des éclairs de plus en plus redoutables sur Nathanael, qui sentait leurs rayons d’un rouge de sang pénétrer ardemment dans sa poitrine. Excédé de cette terreur insensée, il s’écria : « Arrête ! arrête, homme enragé ! » — Il saisit en même temps par le bras Coppola, qui portait de nouveau la main à ses poches pour en sortir encore d’autres lunettes, quoique la table en fût déjà toute couverte. Coppola dégagea doucement son bras avec un rire sourd et déplaisant, et dit : « Ah ! — rien pour vous ? — ma ici souperbes verres ! » — Il avait ramassé et empoché toutes ses lunettes, et il tira de la poche latérale de son habit force lorgnettes de toutes les dimensions.
Il y a environ trente ans, qu'un nommé Jacques Metius , de la ville d'Alcmar en Hollande, homme qui n'avait jamais étudié, bien qu'il eût un père et un frère qui ont fait profession des mathématiques, mais qui prenait particulière­ment plaisir à faire des miroirs et verres brûlants, en composant même l'hiver avec de la glace, ainsi que l'expérience a montré qu'on en peut faire, ayant à cette occasion plusieurs verres de diverses formes, s'avisa par bonheur de regarder au travers de deux, dont l'un était un peu plus épais au milieu qu'aux extrémités, et l'autre au con­traire beaucoup plus épais aux extrémités qu'au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts d'un tuyau, que la première des lunettes dont nous parlons, en fut composée. Et c'est seulement sur ce patron que toutes les autres qu'on a vues depuis ont été faites, sans que personne encore, que je sache, ait suffisamment déterminé les figures que ces verres doivent avoir.
Dès que les lunettes eurent disparu, Nathanael redevint tout-à-fait calme, et en pensant à Clara, il vit bien que cette illusion de sorcellerie n’avait de fondement que dans son esprit, et que Coppola ne pouvait être qu’un simple mécanicien, un honnête opticien, et nullement un odieux fantôme ni le ménechme de Coppelius. D’ailleurs tous les verres que Coppola venait d’étaler de nouveau sur la table n’offraient rien d’extraordinaire ni aucune fascination diabolique comparable à celle des lunettes. Aussi Nathanael résolut, par forme de réparation, d’acheter effectivement quelque chose à Coppola. Il prit une petite lorgnette de poche très-artistement travaillée, et alla pour l’essayer à la fenêtre. De sa vie, il n’avait encore rencontré un verre qui rapprochât et peignit aux yeux les objets avec autant de netteté, de précision et de justesse. Il regarda par hasard dans la chambre de Spallanzani : Olympie était assise comme à l’ordinaire devant la petite table, les bras appuyés dessus et les mains croisées. Nathanael vit alors pour la première fois l’admirable régularité des traits d’Olympie ; ses yeux seulement paraissaient étrangement fixes et inanimés. Mais à force de regarder attentivement à travers la lorgnette, il lui sembla voir comme d’humides rayons lunaires se réfléchir dans les yeux d’Olympie, et la puissance visuelle s’y introduire par degrés, et le feu de ses regards devenir de plus en plus ardent et vivace. Nathanael était retenu à la fenêtre comme ensorcelé, et ne pouvait se lasser de contempler la céleste beauté d’Olympie.
Car, bien qu'il y ait eu depuis quantité de bons esprits, qui ont fort cultivé cette matière, et ont trouvé à son occasion plusieurs choses en l'Optique, qui valent mieux que ce que nous en avaient laissé les anciens, toutefois, à cause que les inventions un peu malaisées n'arrivent pas à leur dernier degré de perfection du premier coup, il est encore demeuré assez de difficultés en celle-ci, pour me donner sujet d'en écrire. Et d'autant que l'exécution des choses que je dirai doit dépendre de l'industrie des artisans, qui pour l'ordinaire n'ont point étudié, je tâcherai de me rendre intelligible à tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer, qu'on doive avoir appris des autres sciences.
Le rideau de la chambre fatale était soigneusement tiré. Nathanael ne put entrevoir Olympie ni de cet endroit, ni même de sa fenêtre, deux jours durant, quoiqu’il s’absentât à peine et qu’il eut continuellement l’œil appliqué à la lorgnette de Coppola. Le troisième jour on mit des rideaux aux croisées. — Absolument désespéré, dévoré d’ardeur et de désirs, Nathanael s’enfuit hors de la porte de la ville. L’image d’Olympie flottait devant lui dans les airs, elle surgissait du buisson, elle frappait ses yeux dans le miroir du ruisseau et le poursuivait partout de regards étincelants. Le souvenir de Clara était complètement effacé dans son esprit. Il ne pensait à rien qu’à Olympie, il allait se plaignant à haute voix et d’un ton langoureux : « Ô toi ! ma sublime étoile d’amour ! ne m’as-tu donc apparu que pour t’éclipser aussitôt et me laisser perdu sans espérance dans d’épaisses ténèbres ! »

ses yeux transparents...



Ses yeux transparents me jettent de doux regards // tu pourrais voir par tes yeux  // vous avez sommeil, et vous ne pouvez tenir les yeux ouverts // alors il jette de grosses poignées de sable dans leurs yeux, qui sortent tout sanglants de la tête // des becs crochus avec lesquels ils mangent les yeux aux petits enfants qui ne sont pas sages // mais pénétrer le secret par moi-même, voir de mes yeux le mystérieux homme au sable // un spectre menaçant // des sourcils gris très-épais sous lesquels brillent deux yeux de chat // les larmes aux yeux // je ne voyais plus cet épouvantail du conte de la nourrice arrachant aux enfants leurs yeux pour la becquée de son nid de hiboux dans la lune // je croyais à tout moment distinguer des visages humains, mais dépourvus d’yeux  // Des yeux ici, des yeux ! // À présent nous avons des yeux, — des yeux ! — une belle paire d’yeux d’enfant ! // du milieu des flammes des charbons ardents qu’il voulait me jeter sur les yeux // laisse les yeux de mon Nathanael // que ce marmot garde ses yeux pour pleurer son pensum dans ce bas monde // Les larmes jaillirent des yeux de ma mère // devant moi avec des yeux étincelants //

mardi 20 septembre 2011

La Reine des Neiges-(la règle)


Nous pourrions jouer à un jeu  le jeu des histoires  raconter une histoire des histoires les lier les mêler intervenir glisser laisser glisser du son des sens raconter une histoire mais une histoire connue  comme elle te vient comme tu t’en souviens une histoire que l’on connaît tous et toutes une histoire dans laquelle tu te racontes aussi une histoire dans laquelle tu mets des traces de toi de ta vie de tes envies du genre à donner du travail aux chercheurs plus tard qui se demanderont ce qui est vrai ce qui ne l’est pas du genre à permettre aux chercheurs de fouiller dans tes affaires personnelles pour expliquer ce que tu as raconté pourquoi tu l’as raconté et en tirer de grandes conclusion comme tout cela vient de tes complexes d’enfant tu voulais épouser maman et tu voulais tuer papa et c’est pour ça que tu aimes tellement cette histoire que tu t’y glisses si facilement qu’elle t’obsède que tu l’obsèdes aussi l’histoire car tout est affaire de réciprocité l’un ne va pas sans l’autre l’un va avec l’autre obsessions partagées alors partage là aussi ton obsession avec ceux qui vont écouter ton histoire cette histoire dans laquelle tu te glisses si bien qui est peut-être aussi un peu la tienne en déformée en autre comme passé au crible de la fiction tu racontes une histoire c’est le jeu qui n’est pas ta vie mais dans laquelle tu repères des éléments qui auraient pu être ta vie qui ressemblent à ta vie et tu les signales tu les tritures et alors on ne sait plus si c’est ta vie qui donne l’histoire ou si c’est l’histoire qui donne l’histoire si cette histoire racontée est ta vie ou pas si ta vie est une histoire si toute histoire est une vie on ne sait pas on ne sait plus mais on écoute on se laisse nous aussi aller dans cette histoire cette histoire dans laquelle tu t’es glissée cette histoire que l’on pensait connaître que l’on reconnaît mais qui soudain est possédée par toi toi qui racontes ce que je veux dire c’est que l’on ne sait plus on ne doit plus savoir de l’histoire ou de toi de toi ou de l’histoire ça se confond ça se mélange c’est indiscernable tu vois le genre …

lundi 19 septembre 2011

La Reine des Neiges-2


DEUXIEME HISTOIRE
UN PETIT GARÇON ET UNE PETITE FILLE


Nous habitons dans une grande ville, où il y a tant de maisons et tant de monde qu'il ne reste pas assez de place pour que chaque famille puisse avoir son petit jardin. Nous sommes pauvres, nous sommes deux enfants, nous sommes deux enfants pauvres, mais nous avons un petit jardin. Nous ne sommes pas frère et sœur, mais nous nous aimons autant que si nous l’étions. Nos parents habitent juste en face les uns des autres, là où le toit d'une maison touchait presque le toit de l'autre, séparés seulement par les gouttières. Une petite fenêtre s'ouvre dans chaque maison, il suffit d'enjamber les gouttières pour passer d'un logement à l'autre. Les familles ont chacune devant sa fenêtre une grande caisse où poussent des herbes potagères dont elles se servent dans la cuisine, et dans chaque caisse pousse aussi un rosier qui se développe admirablement. Un jour, nos parents ont l'idée de placer les caisses en travers des gouttières de sorte qu'elles se rejoignent presque d'une fenêtre à l'autre et forment un jardin miniature. Les tiges de pois pendent autour des caisses et les branches des rosiers grimpent autour des fenêtres, se penchent les unes vers les autres, un vrai petit arc de triomphe de verdure et de fleurs. Comme les caisses sont placées très haut, nous savons que nous n'avons pas le droit d'y grimper seuls, mais on nous permet souvent d'aller l'un vers l'autre, de s'asseoir chacun sur notre petit tabouret sous les roses, et nous ne jouons nulle part mieux que là. L'hiver, ce plaisir-là est fini. Les vitres sont couvertes de givre, mais alors nous faisons chauffer sur le poêle une pièce de cuivre et la plaçons un instant sur la vitre gelée. Il se forme un petit trou tout rond à travers lequel épie à chaque fenêtre un petit œil très doux, le mien d’un côté, celui de mon amie de l'autre. Je m'appelle Kay et elle s’appelle Gerda. L'été, nous pouvons d'un bond venir l'un chez l'autre ; l'hiver il faut d'abord descendre les nombreux étages d'un côté et les remonter ensuite de l'autre. Dehors, la neige tourbillonne.
— Ce sont les abeilles blanches qui papillonnent, dit la grand-mère.
— Est-ce qu'elles ont aussi une reine ? je demande.
— Mais bien sûr, dit grand-mère. Elle vole là où les abeilles sont les plus serrées, c'est la plus grande de toutes et elle ne reste jamais sur la terre, elle remonte dans les nuages noirs.
— Nous avons vu ça bien souvent, nous disons.
Et ainsi ils surent que c'était vrai.
  Est-ce que la Reine des Neiges peut entrer ici ? demande ma petite amie.
   Elle n'a qu'à venir, je dis, je la mettrai sur le poêle brûlant et elle fondra aussitôt.
Le soir, à moitié déshabillé, je grimpe sur une chaise près de la fenêtre et regarde par le trou d'observation. Quelques flocons de neige tombent au-dehors et l'un de ceux-ci, le plus grand, atterrit sur le rebord d'une des caisses de fleurs. Ce flocon grandit peu à peu et finit par devenir une dame vêtue du plus fin voile blanc fait de millions de flocons en forme d'étoiles. Elle est belle, si belle, faite de glace aveuglante et scintillante et cependant vivante. Ses yeux étincellent comme deux étoiles, mais il n'y a en eux ni calme ni repos. Elle fait vers la fenêtre un signe de la tête et de la main. Tout effrayé, je saute à bas de la chaise, il me semble alors qu'un grand oiseau, au- dehors, passait en plein vol devant la fenêtre. Le lendemain est un jour de froid clair, puis vient le dégel et le printemps.
Cet été-là les roses fleurissent magnifiquement, Gerda a appris un psaume où l'on parle des roses, cela lui fait penser à ses propres roses et elle me chante cet air, et je chante avec elle :
Les roses poussent dans les vallées où l'enfant Jésus vient nous parler.
Nous nous tenons par la main, nous baisons les roses, admirons les clairs rayons du soleil de Dieu et leur parlons comme si Jésus était là. Quels beaux jours d'été où il est si agréable d'être dehors sous les frais rosiers qui semblent ne vouloir jamais cesser de donner des fleurs ! nous sommes assis à regarder le livre d'images plein de bêtes et d'oiseaux - l'horloge sonne cinq heures à la tour de l'église - quand brusquement je m'écrie :
— Aïe, quelque chose m'a piqué au cœur et une poussière m'est entrée dans l'œil.
Mon amie me prend par le cou, regarde dans mon œil, je cligne des yeux, non, on ne voit rien.
— Je crois que c'est parti, je dis.
Mais ce ne l'est pas du tout ! C'est un de ces éclats du miroir ensorcelé dont nous nous souvenons, cet affreux miroir qui fait que tout ce qui est grand et beau, réfléchi en lui, devient petit et laid, tandis que le mal et le vil, le défaut de la moindre chose prenne une importance et une netteté accrues.
Le pauvre Kay a aussi reçu un éclat juste dans le cœur qui sera bientôt froid comme un bloc de glace. Il ne sent aucune douleur, mais le mal est fait.
— Pourquoi pleures-tu ? je crie, tu es laide quand tu pleures, est-ce que je me plains de quelque chose ? Oh! cette rose est dévorée par un ver et regarde celle-là qui pousse tout
de travers, au fond ces roses sont très laides.
Je donne des coups de pied dans la caisse et arrache les roses. - Kay, qu'est-ce que tu fais ? crie mon amie. Et lorsque je vois son effroi, j’arrache encore une rose et rentre vite par sa fenêtre, et je laisse là la charmante petite Gerda, ma charmante amie.
Quand par la suite elle apporte le livre d'images, je déclare qu'il est tout juste bon pour les bébés et si grand-mère gentiment raconte des histoires, j’ai toujours à redire, parfois je marche derrière elle, mets des lunettes et imite, à la perfection du reste, sa manière de parler ; les gens en rient.
Bientôt je commence à parler et à marcher comme tous les gens de sa rue pour me moquer d'eux.
On se met à dire : « Il est intelligent ce garçon-là ! » Mais c'est la poussière du miroir qu'il a reçue dans l'œil, l'éclat qui s'est fiché dans son cœur qui sont la cause de sa transformation et de ce qu'il taquine la petite Gerda, sa petite amie, laquelle l'aime de toute son âme.
Nos jeux changent complètement, ils deviennent beaucoup plus réfléchis. Un jour d'hiver, comme la neige tourbillonne au-dehors, j’apporte une grande loupe, étale sa veste bleue et laissa la neige tomber dessus.
— Regarde dans la loupe, Gerda, je dis.
Chaque flocon devient immense et ressemble à une fleur splendide ou à une étoile à dix côtés. - Comme c'est curieux, bien plus intéressant qu'une véritable fleur, ici il n'y a aucun défaut, ce seraient des fleurs parfaites - si elles ne fondaient pas.
Peu après j’arrive portant de gros gants, j’ai mon traîneau sur le dos, je crie aux oreilles de Gerda :
— J'ai la permission de faire du traîneau sur la grande place où les autres jouent ! Et me voilà parti.
Sur la place, les garçons les plus hardis attachent souvent leur traîneau à la voiture d'un paysan et se font ainsi traîner un bon bout de chemin. C'est très amusant. Au milieu du jeu ce jour-là arrive un grand traîneau peint en blanc dans lequel est assise une personne enveloppée d'un manteau de fourrure blanc avec un bonnet blanc également. Ce traîneau fait deux fois le tour de la place et je peux y accrocher rapidement mon petit traîneau.
Dans la rue suivante, nous allons de plus en plus vite. La personne qui conduit tourne la tête, me fait un signe amical comme si elle me connait. Chaque fois que je veux détacher mon petit traîneau, cette personne me fait un signe je n’ose plus bouger ; nous sommes bientôt aux portes de la ville, nous les dépassons même. Alors la neige se met à tomber si fort que je ne vois plus rien devant moi, dans cette course folle, je saisis la corde qui m'attache au grand traîneau pour me dégager, mais rien n'y fait. Mon petit traîneau est solidement fixé et mène un train d'enfer derrière le grand. Alors je me mets à crier très fort mais personne ne m'entent, la neige me cingle, le traîneau vole, parfois il fait un bond comme s'il saute par-dessus des fossés et des mottes de terre. Je suis épouvanté, je  veux dire ma prière et seule ma table de multiplication me vient à l'esprit.
Les flocons de neige deviennent de plus en plus grands, à la fin on dirait de véritables maisons blanches ; le grand traîneau fait un écart puis s'arrête et la personne qui le conduit se lève, son manteau et son bonnet ne sont faits que de neige et elle est une dame si grande et si mince, étincelante : la Reine des Neiges.
­— Nous en avons fait du chemin, dit-elle, mais tu es glacé, viens dans ma peau d'ours.
Elle me prend près d'elle dans le grand traîneau, m'enveloppe du manteau. Il me semble tomber dans des gouffres de neige.- As-tu encore froid ? demanda-t-elle en m'embrassant sur le front.  Son baiser est plus glacé que la glace et me pénètre jusqu'au cœur déjà à demi glacé. Je crois mourir, un instant seulement, après je me sens bien, je ne remarque plus le froid.  «Mon traîneau, n'oublie pas mon traîneau.» C'est la dernière chose dont je me souviens.

Le traîneau est attaché à une poule blanche qui vole derrière eux en le portant sur son dos. La Reine des Neiges pose encore une fois un baiser sur mon front, alors je sombre dans l'oubli total, j’ai oublié Gerda, ma grand-mère et tout le monde à la maison.
— Tu n'auras pas d'autre baiser, dit-elle, car tu en mourrais.
Je la regarde. Qu'elle est belle, je ne peux  m'imaginer visage plus intelligent, plus charmant, elle ne me semble plus du tout de glace comme le jour où je l'ai aperçue de la fenêtre et où elle m’a fait des signes d'amitié ! A mes yeux elle est aujourd'hui la perfection, je n'ai plus du tout peur, je lui raconte que je sais calculer de tête, même avec des chiffres décimaux, que je connais la superficie du pays et le nombre de ses habitants. Elle me sourit ... Alors il me semble que je ne sais au fond que peu de chose et mes yeux s'élèvent vers l'immensité de l'espace. La reine m'entraîne de plus en plus haut. Nous volons par-dessus les forêts et les océans, les jardins et les pays. Au-dessous de nous le vent glacé siffle, les loups hurlent, la neige étincèle, les corbeaux croassent, mais tout en haut brille la lune, si grande et si claire.
Au matin, je dors aux pieds de la Reine des Neiges.

mardi 13 septembre 2011

La Reine des Neiges-1


Tu es si beau pour moi à la lueur de la neige
Je te choisis pour l’élu de mon cœur,
Viens, suis-moi bien haut sur mon île flottante,
Par-dessus mont et mer

Mais c’est qui cette putain de Reine des Neiges ?


PREMIERE HISTOIRE
QUI TRAITE D'UN MIROIR ET DE SES MORCEAUX
Voilà ! Nous commençons. Nous commençons et nous avançons.
Voilà ! On commence. Ou plutôt ça commence. Comme dans un film sur écran blanc. Projection. À l’heure. Ça commence à l’heure. Nous commençons à l’heure. C’est parti. En avant. À la fin on en saura plus qu’au début. Si on relit, si on revoit, on saura alors la fin, déjà, avant. Mais là on commence, et le diable seul sait la fin. Le diable seul peut nous donner la fin. Le diable sera là à la fin et nous regardera avec un petit sourire sarcastique. Car lui, il sait comment tout va terminer, comment tout va se terminer. Car lui, seul, sait comment ça va se terminer.
L’histoire va se déployer, va se dérouler, pour vous, devant vos yeux. Et lorsque nous serons à la fin de l'histoire, nous en saurons plus que maintenant. Maintenant que nous sommes au début de l’histoire, qu’elle n’a pas encore commencé, l’histoire, c’est juste un prologue, histoire de retarder un peu l’histoire. Une histoire qui ne commence pas avec n’importe qui d’ailleurs, une histoire qui commence avec un personnage hors du commun, un vrai personnage singulier : un sorcier, un vrai, un troll, un diable, le «Diable» en personne. Celui qui sait la fin, la fin de l’histoire et qui rit et de se voir si beau en ce miroir, et d’en savoir la fin, de l’histoire.

Un jour, le diable, le sorcier, le troll, lui même, en personne, était de fort bonne humeur : il avait fabriqué un miroir dont la particularité était que le Bien et le Beau en se réfléchissant en lui se réduisaient à presque rien, mais que tout ce qui ne valait rien, tout ce qui était mauvais, apparaissait nettement et empirait encore. Les plus beaux paysages y devenaient des épinards cuits (je dis épinards cuits, mais on peut penser à un autre légume, qui cuit, n’est pas beau – et je dis aussi épinards, car je pense à  mon frère qui n'aime pas les épinards et c'est heureux pour mon frère, car s'il les aimait, il en mangerait et il ne peut pas les supporter, il est de nature studieuse ). Les plus jolies personnes y semblaient laides à faire peur, ou bien elles se tenaient sur la tête et n'avaient pas de ventre, les visages étaient si déformés qu'ils n'étaient pas reconnaissables, et si l'on avait une tache de rousseur (ou un bouton ou une verrue ou un furoncle), c'est toute la figure (le nez, la bouche) qui était criblée de son, (ou de boutons, de verrues, de furoncles). Le diable, le sorcier, le troll trouvait ça très amusant. Lorsqu'une pensée bonne et pieuse passait dans le cerveau d'un homme, la glace ricanait et le diable, le sorcier, le troll riait de sa prodigieuse invention. Il riait à en perdre haleine – malodorante, disait-on. Tous ceux qui allaient à l'école des sorciers, des diables, des trolls - car il avait créé une école de sorciers, de diables, de trolls - racontaient à la ronde que c'est un miracle qu'il avait accompli là. Pour la première fois, disaient-ils, on voyait comment la terre et les êtres humains sont réellement. Ils couraient de tous côtés avec leur miroir et bientôt il n'y eut pas un pays, pas une personne qui n'eussent été déformés là-dedans. Alors, ces apprentis sorciers, diables, trolls voulurent voler vers le ciel lui-même, pour se moquer aussi des anges et de Notre-Seigneur. Plus ils volaient haut avec le miroir, plus ils ricanaient. C'est à peine s'ils pouvaient le tenir et ils volaient de plus en plus haut, de plus en plus près de Dieu et des anges, alors le miroir se mit à trembler si fort dans leurs mains qu'il leur échappa et tomba dans une chute vertigineuse sur la terre où il se brisa en mille morceaux, que dis-je, en des millions, des milliards, des milliards de milliards de morceaux, et alors, ce miroir devint encore plus dangereux qu'auparavant. Les morceaux n'étant pas plus grands qu'un grain de sable voltigeaient à travers le monde et si par malheur quelqu'un les recevait dans l'œil, le pauvre accidenté voyait les choses tout de travers ou bien ne voyait que ce qu'il y avait de mauvais en chaque chose, le plus petit morceau du miroir ayant conservé le même pouvoir que le miroir tout entier. Quelques personnes eurent même la malchance qu'un petit éclat leur sautât dans le cœur et, alors, c'était affreux : leur cœur devenait un bloc de glace. D'autres morceaux étaient, au contraire, si grands qu'on les employait pour faire des vitres, et il n'était pas bon dans ce cas de regarder ses amis à travers elles. D'autres petits bouts servirent à faire des lunettes, alors tout allait encore plus mal. Si quelqu'un les mettait pour bien voir et juger d'une chose en toute équité, le Malin riait à s'en faire éclater le ventre, ce qui le chatouillait agréablement.
Mais ce n'était pas fini comme ça. Dans l'air volaient encore quelques parcelles du miroir !
Ecoutez plutôt. – ceci va être l’autre histoire. Ce n’était qu’un prologue, un préambule, un début, rien de plus.