jeudi 31 décembre 2009

Nous qui avons toujours vécu au château...(VIII)


J’aimais ma maison dans la lune. Il y avait une cheminée et un jardin tout autour (je me demandais quelles fleurs poussent sur la lune ? il faudrait que je demande à Constance) et l’on pouvait prendre ses repas à l’extérieur dans mon jardin sur la lune. Les choses sur la lune brillaient et étaient multicolores. Ma petite maison serait bleue. Je regardais mes chaussures marron aller et venir et je laissais le sac de commissions se balancer à mes côtés. J’étais passée chez Stella et il me fallait maintenant passer la mairie, qui devrait être vide, à l’exception de ceux qui délivrent les permis, qui comptent les contraventions dressées à ceux qui ont traversé le village par la route de l’Etat, ceux qui envoient les factures d’eau, d’eaux usées, d’ordures ménagères ou les formulaires qui interdisent de brûler les feuilles mortes ou de pêcher. Ils seraient de toute façon tous occupés dans un coin de la mairie, en train de travailler avec zèle les uns avec les autres. Je n’avais rien à craindre d’eux tant que je ne pêchais pas en dehors de la saison de la pêche. Je m’imaginais en train d’attraper des poissons rouges quand je vis les fils Harris qui jouaient devant leur maison, en poussant des cris en compagnie d’une douzaine d’autres garçons. Je ne les avais vus que quand je suis passée au coin de la mairie. Je pouvais encore les éviter en retournant sur mes pas et passer par l’autre côté. Mais il était tard, et j’avais les courses et le chemin était boueux, et j’aurais abîmé les chaussures marron de Mère. Et je pensais que j’habitais sur la lune et me dépêchais. Ils me virent tout de suite et moi je m’efforçais de les imaginer en train d’agoniser dans d’affreuses douleurs.

« Merricat, Merricat » crièrent-ils en se rassemblant le long de la barrière.

Je me demandais si les parents leur avait appris, si Jim Donell, Joe Dunham et les sales Harris faisaient souvent répéter leurs enfants, leurs enseignaient les paroles avec patience et qu’il s’assuraient qu’ils ne chantaient pas faux, sinon comment expliquer que les enfants apprennent si vite ?




Merricat, dit Connie, veux-tu une tasse de thé ?

Oh non, dit Merricat, tu vas m’empoisonner.

Merricat, dit Connie, veux-tu aller dormir ?

Six pieds sous terre, au cimetière !




Je faisais semblant de ne pas comprendre leur langage. Sur la lune notre langue était fluide et douce, et on chantait à la lumière des étoiles, tout en contemplant le monde mort et desséché d’en bas. J’étais à mi-chemin de la clôture.




- Merricat, Merricat !

- Où est la vieille Connie ? A la maison en train de préparer le dîner ?

- Tu veux une tasse de thé ?




C’était étrange d’être ainsi en moi, marchant régulièrement le long de la clôture, posant mes pieds de manière assurée mais me dépêcher non plus, être à l’intérieur de moi pendant qu’ils me regardaient. J’étais plongée bien profondément en moi mais je pouvais les entendre et les voir du coin de l’œil. Je voulais qu’ils fussent tous étendus morts.




« Six pieds sous terre, au cimetière ! »

« Merricat ! »




Une fois que je fus passée, la mère des garçons Harry vint au porche, sans doute pour voir la raison du vacarme. Elle se tenait là depuis une bonne minute à regarder et à écouter en silence, Je me suis arrêtée et je l’ai fixée dans ses yeux sans vie. Je savais que je ne devais pas lui parler, mais je savais aussi que je ne pouvais m’en empêcher : « Vous ne pouvez pas les faire cesser ? » lui ai-je demandé ce jour là, me demandant s’il n’y avait pas quelque chose en cette femme qui pouvait l’émouvoir, me demandant si elle n’avait jamais couru avec joie dans l’herbe ou si elle n’avait jamais regardé des fleurs, ou bien si elle n’avait jamais connu le plaisir de l’amour. « Vous ne pouvez pas les faire cesser ? »

- Les enfants, dit-elle de sa voix monotone, on n’appelle pas les dames par leur nom.

- Oui, m’man, dit l’un des garçons d’un ton soumis.

- N’allez pas près de la barrière, et n’appelez pas les dames par leur nom. »

Je me remis en marche pendant qu’ils continuaient à crier et que la femme se tenait toujours sous son porche en ricanant.




Merricat, dit Connie, veux-tu une tasse de thé ?

Oh non, dit Merricat, tu vas m’empoisonner.

Que leurs langues les brûlent, comme s’ils avaient mangé du feu, que leurs gorges les brûlent quand des mots en sortent et qu’ils sentent dans leur ventre un tourment plus cruel que mille feux, pensais-je.




- Au revoir, Merricat, crièrent-ils quand j’arrivais au bout de la clôture, Ne reviens pas trop tôt.

- Au revoir Merricat, nos amitiés à Connie.

- Au revoir Merricat…




Mais j’étais arrivée à la pierre noire, et à la porte de notre domaine.

Aucun commentaire: