mercredi 23 décembre 2009

Nous qui avons toujours vécu au château... (III)


Il était impossible d’être très longtemps tranquille avec Oncle Julian dans la même pièce que nous. Je ne me souviens pas que Constance ou moi ayons ouvert les livres de la bibliothèque qui sont encore, là, sur l’étagère de la cuisine.

C’était par une belle matinée d’avril, je sortais de la bibliothèque municipale, le soleil brillait et le printemps jetait ses fausses promesses un peu partout, rendant encore plus sinistre le village. Je me souviens que je me tenais sur le perron de la bibliothèque, les livres dans mes mains, et je regardais le vert des feuilles se détacher sur le bleu du ciel. Et comme à chaque fois, je me suis dit que je voulais rentrer chez moi en passant par le ciel plutôt que par cet affreux village. D’ici, je pouvais traverser la rue et aller directement à l’épicerie, mais cela voulait dire passer devant le Général Store, et ses hommes assis devant. Au village, les hommes restaient jeunes et répandaient les rumeurs, quand les femmes, vieillissantes, aigries et fatiguées, restaient à la maison à attendre leur mari. Je pouvais aussi quitter la bibliothèque, longer le trottoir jusqu’à la hauteur de l’épicerie et traverser. C’était une idée, même si cela me faisait passer devant le bureau de poste et la maison Rochester devant laquelle s’empilaient boîtes de conserve rouillées, carcasses de voitures, bidons d’essence vides, vieux matelas, tuyaux et baignoires ; que la famille Harler déposait là et – j’en suis sûre – devait aimer.

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