samedi 4 juin 2011

les douze frères

C’est ma mère, la reine qui, pour la première fois, me parle de ma mort. 
Ma mère est une reine, ma mère est la reine ; mon père est un roi, mon père est le Roi. Ils sont heureux et vivent paisiblement, avec leurs douze enfants. Je suis le dernier, je m’appelle Benjamin, en souvenir de la Bible, ma dit ma mère qui est une reine, qui est la reine. J’ai onze frères et pas de sœur.
Et un jour elle me parle de ma mort.
Ils vivent heureux et paisiblement, ma mère, la reine, et mon père, le roi,  sauf que depuis quelques temps, ma mère, la reine, passe ses journées assise et semble bien triste.
Elle ne veut pas me dire ce qui lui arrive, elle me dit qu’elle ne peut pas me le dire, mais j’insiste, encore et encore, je suis tenace, je suis Benjamin, le benjamin, et je sais comment tout obtenir de ma mère, la reine. Alors, elle me montre les douze cercueils, les douze petits cercueils de bois déjà remplis de copeaux et qui contiennent, chacun, un petit coussin mortuaire. Puis elle me dit voilà mon fils Benjamin, toi le benjamin de la famille, je te montre cela car tu dois savoir, car tu dois être au courant, si j’accouche d’une fille, ton père, le roi, te tuera, toi, Benjamin, le benjamin de la famille, mais aussi tes onze frères, vous serez tous tués et vous serez tous enterrés dans ces cercueils de bois remplis de copeaux.
Elle m’a parlé, ainsi, de ma mort.
Je dis à ma mère, la reine, qu’elle ne doit pas s’inquiéter, que nous allons nous enfuir et que rien ne va nous arriver. Nous allons nous rendre dans la forêt, j’ai dit à ma mère, la reine, là nous serons à l’abri. Qu’elle hisse un drapeau le jour de l’accouchement, un drapeau blanc et c’est un garçon, un drapeau rouge et c’est une fille. Si c’est un garçon nous pourrons revenir, si c’est une fille, nous nous enfoncerons plus profondément dans la forêt, et rien ne nous arrivera.
Avec mes frères, je m’enfuis dans la forêt, et chaque jour, à tour de rôle, nous montons la garde. Nous montons sur le plus haut chêne, un très beau chêne, et observons le donjon, guettons le drapeau. Au bout du onzième jour c’est mon tour de passer la journée en haut du plus haut chêne, et je vois se hisser un drapeau, ce n’est pas un drapeau blanc, c’est un drapeau rouge, sanglant, annonçant que nous allons tous mourir si nous n’allons pas plus profondément dans la forêt. Mes frères sont en colère et ne veulent pas mourir à cause d’une fille. Mes frères sont en colère de tout perdre parce qu’ils ont maintenant une sœur. Mes frères sont en colère  et jurent de se venger, et de partir à la chasse aux filles, de faire couler un sang rouge quand ils croiseront, maintenant une fille.
Nous nous enfonçons profondément dans la forêt sombre, et au milieu, dans un profond taillis, nous trouvons une petite chaumière enchantée qui est vide. Nous décidons d’y habiter. Moi, Benjamin, le benjamin, le plus jeune et le plus chétif je reste à la maison pour la tenir en ordre, et mes frères partent chercher à manger et sans doute faire le couler le sang rouge de quelques filles. Et je prépare ce qu’ils rapportent de la chasse : lièvres, chevreuils, oiseaux, pigeons et tout ce qu’ils ramassent comme nourriture. On ne peut pas dire que notre nourriture est équilibrée et la diversifiée, mais au fil du temps je m’améliore, et je finis par cuisiner de bons petits plats. Je m’occupe bien de la chaumière enchantée perdue au milieu de la forêt sombre.
Nous sommes loin de ma mère, la reine, et de mon père, le roi. Nous n’entendons pas parler d’eux. Nous ne savons rien sur notre sœur.
Cela dure depuis dix ans.
Un jour, dans la chaumière enchantée, entre une jeune fille, elle porte des habits royaux et a une étoile sur le front. Elle dit qu’elle est la fille du roi et de la reine et qu’elle cherche ses douze frères. Elle dit que pour les trouver elle est prête à aller aussi loin qu’on voit le ciel bleu. Elle lui montre douze chemises blanches, ce sont celles de ses frères dit-elle. Alors je dis que je suis Benjamin, le benjamin, et que je suis son frère et qu’elle est ma sœur, je lui dis qu’elle est belle dans sa robe royale et avec son étoile sur le front et qu’elle est courageuse si elle veut aller aussi loin que le ciel est bleu, mais ce n’est as nécessaire, car je suis Benjamin, le benjamin, son frère et qu’elle est ma sœur.
Elle se met à pleurer, je me mets à pleurer et nous nous embrassons et nous faisons mille caresses.
Je lui dis qu’elle est mal barrée, car nous avons promis de tuer toutes les jeunes filles que nous verrons, de faire couler leur sang rouge. Elle dit qu’elle est prête à mourir pour moi, pour nous. Non, ce n’est pas possible, elle ne peut mourir, je lui dis de se cacher sous le baquet jusqu’au retour de mes frères, de ses frères, de nos frères. Je vais arranger tout cela.
Mes frères rentrent de la chasse, de la pêche, de la cueillette.
Au fil de la discussion, je leur fais promettre de ne pas faire de mal à la prochaine fille qu’ils vont voir ; ils promettent ; et je soulève le baquet et dis que voilà notre sœur ! nous nous embrassons, nous nous caressons, nous sommes heureux. Nous nous aimons tous de tout notre cœur.
Elle reste avec nous dans la chaumière enchantée, elle reste avec moi pour préparer les plats et entretenir la chaumière enchantée, elle ramasse du bois pour le feu, elle ramasse des herbes pour les mets, elle ramasse des légumes pour accompagner le gibier chassé par nos frères.
Nous sommes contents et nous vivons en harmonie. La vie est belle.
Ensuite, je ne sais pas ce qui s’est passé : je me souviens qu’un soir ma sœur est venue avec douze lys, très beau, qu’elle nous les a donnés à mes frères et moi, et puis plus rien, je ne me souviens de rien. Tout est devenu très noir.
Puis je suis avec mes frères devant un grand bûcher dans lequel se trouve ma sœur, et que nous nous précipitons pour la délivrer, que nous l’embrassons et la couvrons de caresses, que nous sommes heureux d’être là, de l’avoir sauvé, mais ce qui s’est passé, je n’en sais rien, et ne peux le raconter.
Ma sœur épouse un roi que je ne connais pas, il a l’air gentil, nous assistons à la mort de la belle-mère, qui semble très méchante. On la plonge dans un tonneau rempli d’huile bouillante et de serpents venimeux, et elle meurt de malemort. Et nous assistons à un chouette mariage.


Quant à ma mère, la reine, pas de nouvelles.

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