vendredi 1 août 2008

Roman policier-VII

Où le commissaire se retrouve au bureau.

C’est avec les pieds qu’on danse.
Schuhl

Alors il se livra à un morne travail que l’on confie d’habitude à des inspecteurs. Mais il avait besoin de s’agiter, de se donner l’illusion de l’action. Pour oublier, pour essayer de chasser de son esprit les événements désastreux de la journée, et tenter de ne pas sombrer encore plus dans cette espèce de mélasse paralysante dans laquelle il avait mis un pied.




Où le commissaire arrive chez lui.

On pénètre dans une pièce décorée dans le style d’Herculanum.
Stengler

Comme elle lui sembla vide leur maison quand il entra. Un seul être vous manque et votre cuisine est dépeuplée. Tout lui paraissait nouveau, tout lui paraissait disproportionné, tout lui semblait hors de portée.




Où il va être question d’une pendule achetée quelques années auparavant. 
De son illustration & de sa défense.


La superstition porte malheur.
Carvel



Il était 23 heures, et le commissaire avait les yeux rivés sur la pendule du salon. Pendule achetée cinq ans auparavant à un brocanteur. Il avait toujours pensé qu’il l’avait payée trop chère, mais sa femme considérait qu’ils avaient fait une bonne, une très bonne affaire. Alors… aujourd’hui encore il ne pouvait s’empêcher de trouver son prix exorbitant, mais il ne s’agissait que d’un avis, car il n’avait jamais eu le courage de comparer les prix, ni même de savoir plus précisément s’il s’était fait avoir ou non. Et puis se faire avoir quand on veut vraiment quelque chose est ce se faire avoir ? Il pensait que non. Sa femme la voulait tellement cette pendule, elle l’imaginait si bien dans leur salon – tu sais à coté du bahut, elle irait très bien – qu’il avait dû finir par accepter. Ils auraient pu en trouver une moins chère, mais au prix de combien de kilomètres ? finalement quand on tient une affaire, fut elle hors de prix autant la prendre plutôt que la regretter ensuite. Et puis il faut comparer ce qui est comparable, aimait à dire à qui l’écoutait le commissaire. Il faut comparer cette pendule avec la même pendule et pas avec une autre. Sinon ça n’a aucun sens. Après avoir fait remarquer à ses invités que cette pendule lui paraissait chère -- ce dont convenaient aisément ses invités, sans doute parce qu’ils connaissaient le prix des choses ou par pure politesse pour aller dans le sens de leur hôte, puis le plus souvent pour continuer la discussion ils y allaient de leur avis, de leur comparaison, avec leur pendule, celle de leur grande-tante, celle d’un ami, qui lui aussi trouvait qu’il l’avait payée trop chère, et autres anecdotes personnelles et futiles -- eh bien le commissaire Roman pour mettre fin à une discussion qui l’embarrassait disait : « Il faut comparer ce qui est comparable, il faut comparer cette pendule avec la même pendule, pas une autre. » Il en prenait la défense ce qui laissait ses invités dans un état de perplexité proche de l’Ohio. Ensuite c’étaient toussotements de gêne, raclements de gorge, et attente empressée de l’apéritif. Neuf fois sur dix aucun des invités ne faisait une autre remarque sur quoi que ce soit dit par le commissaire, on approuvait et on passait très vite à autre chose, comme si chaque sujet de discussion était une patate chaude qu’il s’agissait de se refiler le plus vite possible. La femme du commissaire était toujours embêtée et elle devait ensuite tout faire pour remonter une situation bien difficilement explicable. Le commissaire prenait son air bougon et s’enfermait dans un mutisme gênant pour tout le monde. Il fixait ses invités et du coin de l’œil – noir – regardait sa pendule.
23h30, encore une demi-heure.
23h59, encore une minute.
24h – 00h – enfin, finit. Il souffla, s’épongea le front tant les derniers instants avaient été pénibles.

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