lundi 31 mars 2008

Regarde les anges tomber (II)



Simon a commencé à voir tomber des anges le jour où Clarisse l’a quitté. Ce matin-là, Simon est sorti de son lit, a remarqué la place vide et s’est dirigé vers la cuisine où il a trouvé une lettre, enfin une lettre, parce qu’elle était enveloppée et qu’il y avait son nom dessus, mais à l’intérieur, il n’y avait qu’une feuille avec un mot, juste un mot : « Adieu ». Elle n’avait jamais été très loquace, mais elle aurait pu en écrire un peu plus. Elle aurait pu signer, même s’il reconnut sans problème l’écriture, il aurait aimé que ses yeux qui commençaient à s’embrumer puissent s’attarder sur d’autres mots que l’unique qui annonçait la séparation et la disparition. Une lettre, ça se lit, oui même dans l’absence de mots. Il lut et relut. Une lettre est un espace. C’est un espace dans lequel on se perd, dans lequel on cherche des bords pour mieux se repérer, mais qui n’en a pas. Une lettre est un espace infini qui se développe, à mesure que l’on s’y enveloppe. Simon n’avait pas grand-chose pour se couvrir, pourtant l’espace qui s’ouvrait devant lui, lui paraissait soudain gigantesque, infini, aussi vaste que le ciel bleu qui s’étendait au-dessus de lui.
Avec le petit morceau de papier dans la main tremblante, l’esprit brouillé, il s’est dirigé vers la fenêtre et a regardé le ciel, d’un très grand bleu, uniforme et immense. Il a commencé par voir un petit point qui faisait tache dans le bleu du ciel. Un petit point qui est devenu de plus en plus grand, et qui semblait se diriger vers lui, même si la distance ne permettait pas d’en être sûre. C’était un oiseau ; un étrange oiseau, sans doute. Puis il comprit que c’était bien autre chose qu’un oiseau ; que cela avait une forme humaine et que cela tombait lentement. Simon ne pu détacher son regard, comme si ce point en même temps qu’il tombait appelait silencieusement Simon. Il comprit enfin de quoi il s’agissait : d’un ange. Oui, un ange. Qui passa à quelques centimètres de lui, et qui alla se poser. Une fois arrivé sur le sol, à quelques mètres plus bas, l’ange s’ébroua, rangea ses ailes et s’en alla comme si de rien n’était, comme si tout était normal et que Simon ne l’avait pas vu. Il pensa à une hallucination, à un dérèglement de ses sens. Mais il continua à en voir tomber des anges, et de plus en plus. Il avait conscience d’avoir un don, un pouvoir révélé par le départ de Clarisse, car c’est sa disparition qui lui avait fait lever les yeux et regarder le ciel , avant celle-ci, il n’avait jamais regardé avec autant d’insistance le ciel, et la chute d’un ange ne peut être vue dans sa course, elle ne peut être saisie que depuis son début, le ciel. On ne voit jamais un ange au milieu de sa course… Car ce serait saisir la beauté en son milieu ; et elle ne peut être saisie que dans son ensemble, la beauté.

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