jeudi 28 octobre 2010

chapitre 4


Chapitre 4



Le dimanche matin, le changement était à un jour. J’étais résolue à ne pas penser à mes trois mots magiques et je ne voulais pas les laisser dans mon esprit : mais l’annonce du changement était si fort qu’il n’était pas possible de le faire. Le changement, comme le brouillard, s’étendait dans les escaliers, la cuisine et le jardin. Je ne pouvais oublier mes trois mots magiques : Mélodie Gloucester Pégase, mais je ne pouvais pas non plus les laisser occuper mon esprit. Le temps était menaçant ce dimanche matin et je me disais que peut-être Jonas réussirait après tout à faire éclater un orage. Le soleil pénétrait dans la cuisine mais il y avait des nuages qui se déplaçaient rapidement dans le ciel et un vent frais pénétrait dans la cuisine pendant que je prenais mon petit déjeuner.
     Mets tes bottes si tu sors aujourd’hui, me dit Constance.
     Je ne pense pas qu’Oncle Julian va aller dehors aujourd’hui, il fait trop froid pour lui.
     Un vrai temps de printemps, dit Constance en souriant et en regardant le jardin.
     Je t’aime Constance.
     Je t’aime aussi, idiote de Merricat.
     Est-ce que Oncle Julian va mieux ?
     Je ne pense pas. Quand tu dormais encore, je lui apporté son plateau de petit déjeuner et il m’a semblé très fatigué. Il m’a dit avoir pris une autre pilule dans la nuit. Je pense que son état empire.
     Es-tu inquiète ?
     Oui, beaucoup.
     Va-t-il mourir ?
     Sais-tu ce qu’il m’a dit ce matin ?
Constance se retourna, s’appuya contre l’évier et me regarda tristement.
     il pensait que j’étais Tante Dorothy, il m’a saisit la main et il m’a dit : « C’est terrible d’être vieux, et d’être étendu ici à attendre que cela arrive. » Il m’a terrifié.
     Tu devrais me laisser l’emmener sur la lune.
     Je lui ai donné son lait chaud et il s’est souvenu de qui j’étais.
Je pensais qu’Oncle Julian était certainement très heureux d’avoir Constance et Tante Dorothy pour prendre soin de lui. Je me dis que les objets longs et fins m’aideraient à me rappeler d’être gentille avec Oncle Julian. Aujourd’hui serait un jour d’objets longs et fins car il y avait eu ce cheveu sur ma brosse à dent, ce bout de fil qui pendait sur le bord de ma chaise et je pouvais voir un bout de bois détaché de la marche.
     Prépare lui un petit pudding.
     Peut-être.
Elle prit un long et fin couteau à découper qu’elle posa dans l’évier.
     Ou une tasse de cacao. Et des beignets pour accompagner le poulet ce soir, rajouta-t-elle.
     As-tu besoin de moi ?
     Non, ma Merricat. Tu peux sortir, mais n’oublie pas tes bottes.
La lumière à l’extérieur était changeante et mouvante. Jonas dansait entre les ombres et me suivait. Quand je courais, il courait. Quand je m’arrêtais, il s’arrêtait, me regardait et s’en allait vivement dans une autre direction, comme s’il ne me connaissait pas. Puis il s’asseyait et m’attendait pour recommencer la course. Nous avancions ainsi le long du champ qui ressemblait aujourd’hui à l’océan, même si je n’ai jamais vu l’océan de ma vie. L’herbe ondulait sous le vent, et l’ombre des nuages allait et venait, les arbres se courbaient sous les rafales. Jonas disparut dans les herbes qui étaient assez grandes (hautes) pour que je les frôle des mains sans avoir à me pencher, et il faisait de légères courbures ; pendant un instant il y eut comme un sillon dans l’herbe, c’était Jonas qui accourait. Je décidai de traverser le champ en diagonal, partis d’un coin et me dirigeai vers le coin opposé. Au milieu j’allai directement vers la pierre signalant ma poupée enterrée. Je pouvais toujours la retrouver au contraire d’autres trésors, perdus à jamais. La pierre était toujours à sa place et la poupée en sécurité. Je suis en train de marcher sur des trésors perdus, ai-je pensé. L’herbe continuait à caresser mes mains et il n’y avait rien autour de nous si ce n’était le champ et la pinède. Derrière moi il y avait la maison, et loin, là-bas, sur la gauche, cachée par les arbres, la barrière construite par Père pour tenir les gens éloignés.
Quand je sortis du champ, j’allai vers les quatre pommiers, que nous appelions notre verger, et je suivis le sentier jusqu’au ruisseau. Ma boîte et ses dollars d’argent, cachés près de la rivière, étaient toujours là. Près de la rivière, bien caché, il y avait une de mes cachettes aménagée avec grand soin et que j’utilisais souvent. J’avais arraché deux ou trois buissons et aplani le sol. Tout autour il y avait des buissons et des branches d’arbre. L’entrée était cachée par une branche qui touchait presque le sol. Il n’y avait pas de raison pour cela fut si secret (caché), personne ne venait jamais me chercher jusque là. Mais j’aimais m’y étendre avec Jonas et je savais que nous ne serions jamais dérangés. Je faisais un lit avec des feuilles et des branches et Constance m’avait donné une couverture. Les arbres tout autour étaient si feuillus qu’il faisait toujours frais ici et ce dimanche matin, je restai là avec Jonas à écouter ses histoires. Toutes les histoires de chats commencent de la même façon : « Ma Mère, la première des chats, m’a raconté ceci »  et je restai tout près de Jonas, la tête posée à ses côtés, à écouter son histoire. Aucun changement n’interviendra, ai-je pensé, il n’y aura que le printemps. J’avais tord d’être si effrayée. Les jours deviendraient de plus en plus chaud, Oncle Julian resterait assis au soleil. Et Constance continuerait à rire dans le jardin. Et rien ne changerait. Jonas poursuivait son récit « et nous chantions ! et nous chantions ! » et les feuilles bougeaient au dessus de nous. Non, rien ne changerait.
Je découvris un nid de serpents près de la rivière et je les tuai tous. Je détestais les serpents et Constance ne m’avait jamais interdit de le faire. J’étais sur le chemin du retour quand j’ai trouvé un mauvais présage, un des pires. Mon livre, cloué sur le tronc d’un arbre de la pinède, était tombé. Je pensai que le clou était rouillé et le livre – un agenda de Père dans lequel il notait les noms de tous ceux qui lui devaient de l’argent – n’assurait plus son rôle de protection. Je l’avais enveloppé avec soin dans du papier avant de le clouer sur l’arbre, mais le clou avait fini par céder. Je pensai qu’il fallait que je détruise tout pour éviter toute influence néfaste. Je pourrais apporter quelque chose d’autre à clouer sur l’arbre, peut être un foulard ou un gant de Mère. C’était de toute façon trop tard, mais cela je l’ignorais encore. Il était déjà en route. Quand j’ai trouvé le livre, il avait probablement laissé sa valise à la poste et il se demandait comment arriver chez nous. Tout ce que nous savions alors, Jonas et moi, était que nous avions faim, et nous courûmes vers la maison. Le vent fit irruption avec nous dans la cuisine.

Aucun commentaire: