La vie de Simon avait toujours été une vie envahie par les anges, pas étonnant qu’il en vît aujourd’hui tomber, par grappes.
Cela avait commencé avec le grand oncle Stanislas, que tout le monde appelait Stan. Oncle de sa mère, marié à la sœur de la grand-mère de Simon.
Le grand-oncle de Simon, Stan, après une journée de travail particulièrement éprouvante, fumait une cigarette et buvait un verre de pastis sur le balcon de son appartement au vingtième étage d’une tour HLM. La soirée était douce, il avait fait très chaud. Il en avait souffert ; son travail de terrassier se faisait en plein soleil. Mais, ce soir-là, il était bien content de profiter du calme, de la fraîcheur, de la paix qui enveloppaient la fin de journée. Il n’avait pas allumé la télévision en rentrant. Ce soir, il avait besoin de penser à autre chose. Il ne voulait pas se vider la tête devant une émission, mais plutôt penser à lui, à la journée aux jours à venir. Ce soir-là, il se disait qu’il était bien content d’être là où il était, en France, sur son balcon, plutôt qu’en Pologne, à la frontière Russe, avec comme horizon des champs dévastés. Il regardait la ville, et cela lui semblait tellement préférable. Préférable à tout ce qu’il avait connu là-bas. Même s’il aimait son pays, et avait pour lui une vraie reconnaissance : c’était là-bas qu’il avait rencontré sa femme, polonaise elle aussi. Il se retourna légèrement, et la chercha du regard. Il aimait la surprendre dans ses gestes quotidiens, simples. Elle était dans la cuisine en train de vider un poisson, qu’elle avait ramenée de son travail. Elle était poissonnière. Il avait pour elle une grande admiration : son travail était pénible, ses horaires matinaux. Mais il avait des avantages ce métier, comme celui de ramener à manger. Même s’il préférait une bonne boîte de sardines à l’huile, avec du pain et deux ou trois verres de vin blanc, mais ce soir il savait qu’il allait apprécier la truite saumonée qu’elle était en train de préparer, qu’elle allait faire cuire ensuite au four. Il aurait le temps de prendre un autre apéritif.
Il s’accouda sur la rambarde du balcon.
Quand, devant ses yeux rougis de fatigue passa une femme tenant dans ses bras un enfant. Oui, une femme et un enfant. Leurs regards se croisèrent et il reconnut la voisine du dessus. Une jeune fille adorable, toujours souriante, avec qui il avait échangé quelques mots, deux ou trois fois, peut-être quatre, il ne savait plus. Elle continua sa route, et il se pencha pour suivre la chute.
Il tira une dernière fois sur sa cigarette, l’écrasa dans le cendrier métallique, à moitié plein.
Il se pencha de nouveau comme pour vérifier qu’il n’avait pas eu une hallucination, comme pour se persuader que ce qu’il venait de vivre était vrai. Cela l’était, les corps étaient en bas maintenant et une certaine agitation commençait à se faire.
En titubant, il entra, appela sa femme, et vomit sur le tapis du salon. Elle accourut, paniquée, par le son de sa voix, par l’appel angoissé qu’il venait de lancer. Et voyant les dégâts, elle se mit à gueuler, à l’engueuler. C’est pas vrai. Quand on est malade, on est près des chiottes. On reste pas sur le balcon à fumer et à boire. Merde, c’est pas vrai, un beau tapis. Tu fais chier. Elle ne continua pas très longtemps, il montrait le dehors, pâle comme un linge, en tremblant. Elle alla voir, attirée par le bruit et quelques cris qui montaient. Elle vit le drame. Rentra à son tour, et vomit sur le tapis neuf, elle aussi.
2 commentaires:
ça y est, l'ange m'a prise sous son aile... il n'est pas question avant longtemps, j'espère, qu'il cesse de tomber !
Merci !
Allons bon. Voilà une histoire qui commence bien mal pour le tapis.
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