Bord de plage. La mer bleue. Vous savez que vous ressemblez à quelqu’un. Phrase bien banale. Technique d’approche un peu maladroite. Non, jamais, on ne me l’a jamais dit. Je dois le prendre comment ? Bien ma veine, me faire draguer par un vieux, aujourd’hui, cet après-midi où j’ai envie d’être seul. Et voilà un vieux qui vient m’accoster. Prenez-le bien, et rassurez-vous, je ne suis pas un dragueur des bords de plage. Ah oui le vieux qui passe et repasse, maillot trop grand. Je vois. D’accord. Merci pour le compliment, si c’en est un. Ni un compliment ni autre chose, mais simplement un constat. Vous ressemblez à quelqu’un, et je me demandais si vous le saviez, que vous étiez le sosie de quelqu’un. Non, on ne m’a jamais rien dit à ce propos. Bizarre, comme approche, que veut-il ? En fait si, mais bon il y a longtemps. Une amie de ma sœur : « Ouah ton frère ressemble à Johnny Deep », alors évidemment flatté. Quelques années plus tard, on m’a comparé à Fassbinder. « Mais si je t’assure tu ressembles à Fassbinder ». En fait aussi flatté, et puis pas de drague derrière le compliment, à moins que… mais non ce ne fut pas le cas. Oui Fassbinder, cheveux longs, barbe de trois jours, air fatigué, abus d’alcools, envie de reconnaissance, d’être reconnu. Et je ressemble à qui ? A un écrivain, pas connu du tout en fait. J’ai vu son visage dans un magazine, et c’est mon boulot de repérer les visages. Vous travaillez pour une agence de mannequin ? Chasseur de têtes ? Et vous savez la littérature et moi ça fait deux. Je lis pas. Ou alors il y a longtemps. La Princesse de Clèves (et encore je me suis souvenu de l’avoir lu, parce qu’on en a parlé récemment, merci monsieur de m’avoir rappelé ces anciens souvenirs), Le Père Goriot (qu’on appelait le père Goyot) et ça doit être à peu près tout. Oui des polars aussi, mais aucun souvenir et ne me demandez pas les titres ou les auteurs. On ne vous a donc jamais dit que vous ressembliez à quelqu’un, et jamais on ne vous a dit que vous ressembliez à un écrivain, jamais ? Non, jamais. Mais pourquoi ces questions ? Ecoutez jeune homme. Alors là j’aime pas du tout qu’on m’appelle comme ça. Vous m’intéressez beaucoup. Mais pour que vous compreniez bien pourquoi vous êtes l’objet de toute mon attention, je vais devoir vous dire des choses que vous allez avoir du mal à accepter. Qu’est-ce qui va m’arriver ? C’est quoi ce vieux cinglé… Je m’appelle Bell, John Bell, non ce n’est pas un pseudonyme, c’est mon vrai nom, et je suis le secrétaire de la Société Anonyme des Sosies Anonymes, la S.A.S.A. Nous sommes une société qui regroupe les sosies anonymes de personnalités connues. Une société secrète ? Non, pas vraiment, même si nous nous cachons, même si nous évitons d’être à la lumière. Parce que j’aime bien les sociétés secrètes, vieilles comme le monde, qui manipulent tout dans l’ombre. Ça j’aime bien. Non, il ne s’agit pas de ça, nous ne manipulons personne, pas notre but. Ah dommage. Nous sommes une confrérie de sosies de gens célèbres mais non connus, mais non reconnus. Un exemple : même si vous ne lisez pas, vous connaissez le nom de Joachim du Bellay ? Oui, tout de même, pas complètement inculte, ce n’est pas parce que j’ai dit que je ne lisais pas que je ne sais rien. Je ne voulais pas dire ça, c’est un exemple. Donc vous connaissez Joachim du Bellay. Important auteur du XVIème siècle, s’il en est, auteur connu de tous et toutes. Mais savez-vous à quoi il ressemble ? Savez-vous à quoi ressemble, ressemblait, Joachim du Bellay ? Non, bien sûr. Je ne sais pas à quoi il ressemble. Je n’ai même jamais su à quoi il ressemble. Voilà l’exemple parfait : Nous avons en nos murs le sosie de Joachim du Bellay. Une célébrité donc mais pas connue, mais jamais reconnue. Le sosie de du Bellay est un anonyme, et il fait partie de notre confrérie, de notre société. Bord de plage. La mer bleue. C’est vraiment n’importe quoi. Et vous êtes beaucoup dans votre société ? Oui, nous sommes beaucoup, car vous ne vous vous doutez pas comme les écrivains, même si leur nom est connu, ne sont pas reconnus. Et ils alimentent notre société. Et c’est moi, John Bell, qui suis chargé de pister les futurs membres de la S.A.S.A., de trouver ceux qui peuvent faire partie de notre société. Et moi je ressemble à un vieil écrivain, du XVIème ou du XVIIème ? Non, nous n’avons pas que de vieux écrivains du temps passé, nous avons en nos murs des sosies de contemporains. Un autre exemple : Claude Simon. Qui est capable de reconnaître cet auteur ? Qui peut dire dans la rue : « Oh regarde c’est Claude Simon ! ». Personne. Personne. Et nous avons chez nous le sosie de Claude Simon. Je vais paraître paradoxale et contradictoire, mais il est mort Claude Simon : et vous venez de me dire que vous avez des vivants. Finalement vous vous y connaissez un petit peu en littérature, dîtes donc. Vous jouiez les ignares il y a quelques minutes, mais vous semblez vous y connaître. Non, non, comme ça des noms, à droite à gauche, mais rien de plus. Pas envie de plus, non plus. Mais continuez. A qui je ressemble ? Un jeune écrivain, il a publié trois romans, il a eu droit à une photographie dans un important magazine littéraire. Donc susceptible d’être reconnu, il y a les informations pour. Mais non, il ne l’est pas. Est-il connu ? Non, je ne crois pas. Mais considérons que la publication de trois romans, ce n’est pas si mal, et que l’on peut alors penser que la reconnaissance est là. Mais il n’est pas reconnu ? Oui. Et j’en suis le sosie. Tout à fait, complètement. Et vous ? de qui êtes-vous le sosie ? Marrant, pas envie de discuter avec lui, il y a quelques minutes, et voilà que maintenant son histoire commence à me plaire et m’amuser.
1 commentaire:
Marrant : pas envie de mer et de maillot de bain mais là, ça commence à me plaire et m'amuser...
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