"If you want to live, you love ; if you don't want to live, you hate, that's all." (Louis Zukofski)
dimanche 24 août 2008
la S.A.S.A.(II)
De qui je suis le sosie ? Mais de personne. Enfin, je ne crois pas, je ne l’ai jamais trouvé en tout cas. Je vous l’ai dit, je suis le secrétaire de la S.A.S.A, pas un de ses membres, pas un de ses sosies. Il en est de même pour notre président. Il n’est le sosie de personne, en tout cas, ce n’est pas pour cela qu’il a été choisi, mais je pourrais vous expliquer cela plus tard. Je ne peux pas tout vous dévoiler maintenant, jeune homme. Et voilà qu’il recommence à m’appeler jeune homme, j’ai bien envie de le laisser en plan, là, devant son Perrier rondelle. Vous voulez que j’adhère à votre club, parce que je ressemble à un écrivain que personne ne connaît, que personne ne reconnaît, parce que je ressemble à je ne sais quel du Bellay du XXIème siècle ? Oui, en quelque sorte, c’est ça. Et comment cela se passe-t-il ? En toute simplicité, vous me donnez votre accord, et moi je présente votre candidature à l’ensemble de la S.A.S.A. Si trois membres au minimum vous reconnaît, et sont capables de spontanément dire de qui vous êtes le sosie, votre demande est rejetée. On considère que vous êtes trop connu, que vous êtes trop reconnu. Vos membres sont-ils aussi ignares que moi en littérature ? Je veux dire sont-ils aussi peu intéressés que moi par la littérature ? Oui, c’est ça qui est étonnant, tous nos sosies ne sont absolument pas intéressés par la littérature, ils n’y connaissent pratiquement rien, des gens ordinaires en fait. Comme quoi être le sosie d’un écrivain ne prédispose pas à la chose littéraire, au contraire même. Il n’y a pas une tronche d’écrivain, ou bien ce n’est pas par sa tronche que l’on devient écrivain. Rien à voir avec le physique. Pourtant, souvent, quand je vois des photos d’écrivains, d’artistes en général, je me dis toujours qu’ils ont bien fait d’être ce qu’ils sont, car avec leur physique, on ne les imagine pas faire autre chose. Peut-on imaginer Francis Bacon dans une pâtisserie, en train de vendre des petits-fours, Samuel Beckett dans une boucherie en train de proposer des tranches de jambon en promotion ? Décidément, jeune homme vous me plaisez, et êtes bien loin de n’être que ce que vous pensez être, vous allez apporter un sang neuf et intéressant à la S.A.S.A. Bon il va falloir qu’il arrête avec ses jeunes hommes, moi je vais finir par craquer pour de bon. Vos idées sont intéressantes, car elles sont la base de nos discussions du moment. Ah, vous échangez aussi au sein de la S.A.S.A. ? Un peu comme une franc-maçonnerie d’écrivains oubliés. Et vous êtes combien ? Nous sommes environ cinquante. Je vais être précis, étant secrétaire, je me dois de savoir le nombre exact de nos membres. Nous sommes 53, président et secrétaire inclus. Le président et moi, donc. Nous nous réunissons une fois par trimestre, ce qui signifie de monter sur Paris. Mais ne vous inquiétez pas, les frais sont payés, car en plus d’être le secrétaire, je suis aussi le trésorier, et sachez que vous voyagerez en première classe. C’est un luxe que nous nous permettons, et que nous permettons à nos membres, qui sont comme je vous l’ai dit, des gens simples et ordinaires. C’est le seul moment où un peu de lumière se fait sur eux, où ils ont l’impression d’être quelqu’un. Il est secrétaire et trésorier, dans quelques temps il va m’annoncer qu’il est aussi président, et que la S.A.S.A. est un club de rencontres, qu’il faut à chaque réunion venir avec une fille, jolie de préférence, et que l’échangisme figure dans l’article 1 du règlement. Nous nous réunissons donc tous les trois mois, je fais un compte-rendu financier de la société, très rapidement, car nous n’avons jamais de problème d’argent. Puis un compte-rendu moral : l’ombre est-elle toujours étendue ? L’ombre ? Oui l’ombre. Pour vivre heureux, vivons caché. Vivant Denon. Sommes-nous heureux ? C’est la question que je pose. Sommes-nous assez cachés ? Qui peut bien s’intéresser à vous. Enfin je veux dire au point de vous embêter ? Mais c’est que nous avons des ennemis. Ah, oui, des ennemis ? Cette histoire continue à me plaire et m’amuser.
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