lundi 29 mars 2010

Mémoires de Simon Melmoth (VI)

Je ne suis pas un héros :

Ce livre n’est pas celui que j’aurais dû écrire. Parce que cette vie ne fut pas celle que j’aurais pu vivre.

Peut-être ne passons-nous que quelques temps sur la Terre que pour en apprendre un peu sur la mythologie de ceux que nous aimons. Et pour la partager avec eux. En dehors de cela, pas de salut : rêver avec quelqu’un ou mourir seul, telle est l’alternative.

L’inexplicable honte d’être mal né, mal loti, mal aimé, l’enfant vient à se raconter une histoire qui n’est autre en fait qu’un arrangement de la sienne.
(un petit arrangement avec les morts, ou avec l'âge des possibles)

Un père au conditionnel passé, qui aurait pu, mais n’est pas.

Je veux croire du moins que les choses se sont passées ainsi.

Ou je réussis ça ou je n’aurai tout simplement pas vécu.


Tout homme a une seconde patrie où tout ce qu’il fait est innocent.


Je suis ce littérateur. Je suis ce maniaque. Mais je fus peut-être cet enfant.


Le cycle de douze mois était achevé, et je venais d'entrer dans ma seconde année - une année qui, à peine entamée allait être le théâtre d'un déchaînement de rêves au Château.
 


dimanche 28 mars 2010

we can be heroes



Pierre Guyotat
(1940- )

"Qui suis-je en face de ces héros... Mais, moi, n'aurai-je pas été, quelquefois, une sorte de héros de la beauté ?"

samedi 27 mars 2010

Mémoires de Simon Melmoth (V)

 
Et moi j'aime ça : Je parle, j'envoie, je cite, je répète, j'enclenche, je déboîte, j'enroule, je tape, je regarde, je cadre, je recadre, je décadre, je note, je ris, je lis, j'aime, j'écris, je vois, je découvre, je ris de nouveau, je me penche, j'observe, j'aligne, je grave, je ris. Pas besoin de machine à traitement de texte : je suis une machine à traitement de texte. Je vais à toute vitesse, je prends mon temps, j'ai tout mon temps : j'écris.

Mon monde est rempli de fantômes, je ne suis jamais seul. 

Je me dévoile : ici ; je me dissimule : ici.

Et le léopard, tout comme lui. 

Et je veux pourrir dans la littérature.

jeudi 25 mars 2010

Mémoires de Simon Melmoth (IV)

Pour écrire, j’ai besoin de ce papier jaunâtre, de ce stylo spécial (un Lamy rose ou un Pelikan), il me faut précisément cette lumière pâle qui tombe de ma gauche, il est inutile de me dire que tout stylo quel qu'il soit fera l'affaire et que tout papier comme toute lumière sont bons. Il ne vaut pas la peine de vivre sans cette chemise de lin céleste, je sens bien que je ne peux m'en sortir sans ces cigarettes à filtre blanc (7 étoiles), il ne sert à rien de me répéter qu'il n'y a là que des manies, et qu'il serait temps finalement, d'y mettre bon ordre. 

Il n’est d’autre amour que la passion de sa propre personne
et nul souvenir n’est plus beau n’est plus doux que le souvenir du souvenir.

Genium suum defraudare, frauder son propre génie, signifie en latin : s'empoisonner la vie, se faire du tort.


a rose is a rose is a rose
(toujours elle revient comme une ritournelle, cette phrase, car c’est une phrase qui tient le milieu entre le bar et la cathédrale.)

Féerie de montages.

mercredi 24 mars 2010

Mémoires de Simon Melmoth (III)


De ma vie, je n'aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre.

Aujourd’hui, chacun est contraint, sous peine d’être condamné par contumace pour lèse-respectabilité, d’exercer une profession lucrative, et d’y faire preuve d’un zèle proche de l’enthousiasme. La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des accents de bravade et de gasconnade. Il ne devrait pourtant pas en être ainsi. Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail.

Ce qui ne change pas, c'est la volonté de changer.


Je voulais écrire quantité de poèmes aussi simplement que l’on écrit des chansons.

C'est la raison humaine qui a renversé toutes les illusions ; mais elle en porte elle-même le deuil, afin qu'on la console. C'est simple, je n'ai pas compris ce que j’aurais dû comprendre. Je n'ai pas été de mon temps, je ne suis pas de son temps et ne le serai jamais.

Le sérieux est une qualité pour ceux qui n'en ont pas d'autres.

Faire de la citation une écriture, ce serait donc écrire sans oublier (le savoir, comme l'on sait, est au contraire destiné par essence à l'oubli; et tout lecteur tant soit peu averti ne manquerait pas de voir dans ce désir frénétique de ne rien laisser perdre, la conviction — ou du moins le soupçon — que l'essentiel s'est déjà perdu) ; je m'imagine prendre de court la mort, en me bondant d'une information toujours plus contemporaine.

Ce n'est pas le mot qui fait la guerre, c'est la mort.

Et la mort n'aura pas d'empire
Les morts nus ne feront plus qu'un



Un autre jour, je reprendrai la fin de cette histoire. Mais sachez que ces mémoires ne vous feront pas grossir du pénis.

mardi 23 mars 2010

Mémoires de Simon Melmoth (II)

Je veux t'aimer d'un amour amoureux.

Il le lui a dit. Il lui a dit : Veux-tu ? Elle n'a dit ni oui ni non : c'est une fille avec un garçon.

Je veux te voir dans un film pornographique.

Je me demande en vérité ce que toi & moi
faisions avant de nous aimer ? n'étions nous sevrés ?


Elle m’aime, elle ne m’aime pas
Je trie mes mains

Une ville devient un univers lorsqu’on aime un seul de ses habitants.

Elle sourit, elle dit que c'est la première fois, qu'elle ne savait pas avant de vous rencontrer que l’amour pouvait se vivre si intensivement. 

La plupart d’entre nous préfèrent être celui qui aime. Car la stricte vérité, c’est que d’une façon profondément secrète, pour la plupart d’entre nous, être aimé est insupportable. Et pourtant, avec toi, ce n’est pas insupportable.

If you want to live, you love ; if you don't want to live, you hate, that's all.

Mémoires de Simon Melmoth (I)


Je suis Simon Melmoth, je me tiens sur le ressac BLABLA, devant moi la vieille Europe et ses décombres. BLABLA. Malheureux le pays qui a besoin de héros, pensé-je, en regardant la mer. Mais louons maintenant les grands hommes.
Il y a une musique : Sax Pax for a Sax.


Tout ce que je dis est vrai, mais qu’importe.
C’est le bonheur qui me rend heureux.

Mais je ne vais parler que de moi, Simon Melmoth, je laisse de côté ceux qui il y a quelques années vivaient en province, tournaient entre la folie et le suicide. Je ne vais pas parler de ceux qui se sont tués, qui sont morts dans leur lit, qui se sont étranglés avec leur cravate, qui se sont fait crever de débauche pour chasser l’ennui. Certes c’était beau ! Mais je ne vais pas en parler.

J’ai le souvenir des autres comme si j’étais leur mont-de-piété, je voudrais bien tout leur rendre gratis, seulement personne ne vient.

Je ne dirai pas du bien de l’époque, elle n’est pas plus malheureuse que les autre. Je rêve de l’époque suivante. Rêver est une nécessité biologique et je rêve pour les autres. 

La seule vie qui soit passionnante est la vie imaginaire.
Je veux oublier le monde réel et je vais décrire le monde réel.

Tout rêve ressemble à un chèque bancaire. 
Sa valeur dépend de celui qui le (ou la) reçoit.

I dream, I fall, it’s my life.
Je survis en mon château cependant.

(Les gens falsifient tout, ils falsifient jusqu'à l'enfance qu'ils ont eue.)

samedi 20 mars 2010

suites de S.

V

Ma dame, dans mes pensées, temps chevaleresques, sortie d’un roman pour plonger dans un livre de poésies, et là, le chevalier à la triste figure, sorti, lui aussi, d’un roman de chevalerie, et qui allait de château en château, non pour fuir les coups d’épée, les coups de lame, mais oui, le coup de foudre, pour ne pas avoir si grand’playe.


Et la licorne blessée est entre tes mains.


VI

Libre, comme un premier souvenir d’un vers, et ne jamais avoir subi de dommage, les yeux, jeunesse à tout asservie, saison & château, les yeux, encore eux, par délicatesse, les yeux, encore eux, en vie.

VII

Cette beauté, déjà parlée, déjà dite, mais à redire, encore et encore, dans la rondeur de mes yeux, dans la rondeur et la douceur de tes fesses, autant de lumières, de petites lumières, la rondeur, la douceur, la blancheur, oui, autant de lumières dans les ténèbres.

VIII

Je me taisais, n’avais plus rien à dire, me taisais, et on entendait mon silence. Et l’on voulait me parler, me dire, mais moi je me taisais, et pensais à toi qui ne fais rien pour contredire, mais qui viens contre moi, tout contre, sans me dédire, sans te dédire.

la S.A.S.A. (XI)

L’arrivée de Joyce :

Joyce décida de prendre les choses en mains et arriva en France pour nous rencontrer en octobre de la même année. Il voulait comprendre ce qui se passait. Le voyage se déroula sans problème, même s’il avait l’impression que quelque chose de terrible était en train de se tramer. Les hôtesses chuchotaient à son passage et le regardaient étrangement. Sa grande taille et son air d’une autre époque y étaient pour quelque chose, pensa-t-il. Il n’en était rien, et son voyage en France faillit bien provoquer la chute de la S.A.I.S.A.I., aussi.
Le douanier regarda à trois fois Joyce et finit par lui souhaiter un bon séjour en lui tendant son passeport, puis il rajouta : « Vous savez que vous ressemblez à un écrivain, monsieur. J’ai oublié son nom, mais j’en ai entendu parler cette semaine à la télévision. Oui, c’est ça, vous ressemblez à l’auteur de la comédie musicale, Ulysse. Je n’arrive pas à me rappeler son nom, je l’ai sur le bout de la langue, pourtant… »
Joyce manqua de s’étrangler et s’en alla, sans rien dire, et surtout sans laisser le temps au douanier de retrouver ce nom sur le bout de la langue.
Trois jours avant son arrivée en France, une comédie musicale, inspirée de l’œuvre maîtresse de Joyce, Ulysse, avait été diffusée en avant-première à la télévision, à 20h30, précédée d’un documentaire sur la vie de l’auteur.
Et pourquoi pas Eden, Eden, Eden ? Nous étions en train de marcher sur la tête.

jeudi 18 mars 2010

suites de S.

I

L’œil ardent qui fait tournoyer sur soi et fait perdre l’équilibre, le sens, les sens, comme un coup, un coup de lame, un coup de foudre, une brisure soudaine ; ne plus rien voir, être comme aveugle sous le coup, le coup de lame, le coup de foudre, percé jusques au fond du corps, du cœur et de la raison, de l’âme en l’âme, du coup de lame, du coup de foudre, dans les yeux, y laisser la vie.

II

Naturant et raturant, sans pour autant dénaturer la nature des ratures : oh, tout devient si admirable, on s’émerveille comme une jeune fille au pays des merveilles, on glisse, on boîte, on valse, on danse, on valse-boîte, on glisse. Au premier coup d’œil ; coup de foudre, de tonnerre, tombé du ciel une boîte de sortilèges, une boîte de Pandore.

III

Le doux venin de ton image, de l’image de toi, de toi en image, belle comme une image, image immolée, sagement et bellement comme une image ; tout abandonner, tout laisser, tout jeter aux orties dans le plus bas de l’Enfer : on y retournera, c’est sûr, c’était chouette, on y retournera tout en béatitude.

IV

Voulant tout achever en toi, partant du ciel, ou plutôt des neufs cieux qui transmettent, dis-tu, le coup, le coup de foudre, comme un coup de lame, tout en grâce et simplicité, encore, le donner le coup de lame, et puis ensuite fondre de joie et regarder les pleurs.

mercredi 17 mars 2010

F.-Machine (III)

Le passé me dévore.
L’histoire n’est belle que racontée.
Il n’y a rien de plus vil sur la terre qu’un mauvais artiste, qu’un gredin qui côtoie toute sa vie le beau sans jamais y débarquer et y planter son drapeau.
L’idée de donner le jour à quelqu’un me fait horreur. Je me maudirais si j’étais père. Un fils de moi, oh non, non, non ! que toute ma chair périsse, et que je ne transmette à personne l’embêtement et les ignominies de l’existence.

J’abandonne la sale auberge de mon corps maçonné de chair rougie de sang, couverte d’une peau hideuse, pleine d’immondices ; et, pour ma récompense, je vais enfin dormir au plus profond de l’absolu, dans l’anéantissement.
C’était un déversoir ; je n’ai eu que du plaisir à l’écrire et les dix-huit mois que j’ai passés à en écrire cinq cents pages ont été les plus profondément voluptueux de ma vie.
De cela, comme du reste, je ne jouis que par ma fenêtre.
Te rendre heureuse ! ah, pauvre Louise, moi, rendre une femme heureuse.
C’est la troisième vérole qu’il attrape depuis que nous sommes en route.
Je grossis, je deviens bedaine et commun à faire peur. Je vais rentrer dans la classe de ceux avec qui la putain est embêtée.
Le paradis en ce monde se trouve sur le dos des chevaux, dans le fouillement des livres ou entre les seins d’une femme.
Je suis tout bonnement un bourgeois qui vit retiré à la campagne, m’occupant de littérature et sans rien demander aux autres, ni considération, ni honneur, ni estime même.
Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, ni un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d’une femme nue me fait penser à son squelette.
Rien ne m’exciterait comme une momie.
Je suis né avec un tas de vices qui n’ont jamais mis le nez à la fenêtre. J’aime le vin, je ne bois pas, je suis joueur et je n’ai jamais touché une carte. La débauche me plaît et je vis comme un moine. Je suis mystique au fond et je ne crois à rien.
Dans l’antichambre, debout sur un tas de vêtement, se tenait une fille publique, en statue de la Liberté, immobile, les yeux grands ouverts, effrayants.
L’aristocratie eut les fureurs de la crapule, et le bonnet de coton ne se montra pas mois hideux que le bonnet rouge.
Je voudrais faire des livres où il n’y eût qu’à écrire des phrases (si l’on peut dire cela), comme pour vivre il n’y a qu’à respirer de l’air.
Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sas attache extérieure, qui se tiendrait par la force interne de son style, comme la terre, sans être soutenue, tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela peut.
Tu sais que c’est un de mes vieux rêves d’écrire un roman de chevalerie. Je crois cela faisable, même après l’Arioste, en introduisant un élément de terreur et de poésie qui lui manque.
De sorte que, pour ne pas vivre, je me plonge dans l’Art, en désespéré.

Tout ce qui est de la vie me répugne. J’ai en moi, au fond de moi, un empêchement radical, intime, âcre et incessant qui m’empêche de rien goûter et me remplit l’âme à crever.
Nous ne souffrons que d’une chose : la bêtise. Mais elle est formidable et universelle.
Un livre est pour moi une manière spéciale de vivre. A propos d’un mot ou d’une idée, je fais des recherches, je me perds dans des lectures ou des rêveries sans fin…
Enfin, je tâche de bien penser pour bien écrire. Mais c’est bien écrire qui est mon but, je ne le cache pas.
Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu’ils m’inspirent.
Je ne voudrais pas crever avant d’avoir déversé encore quelques pots de merde sur la tête de mes semblables.
Je désire cracher encore des cuves de bile sur la tête des bourgeois.
Il me monte de la merde à la bouche (…) j’en veux faire une pâte dont je barbouillerai le dix-neuvième siècle.
(le genre humain), une vaste association de crétins et de canailles (…) j’aime à voir l’humanité et tout ce qu’elle respecte, ravalé, bafoué, honni, sifflé.
Nous allons entrer dans une ère stupide. On sera utilitaire, militaire, américain et catholique.
L’immortalité de l’âme a été inventée par la peur de mourir ou par le regret des morts.
Je la connais, je l’étudie. C’est là l’ennemi, et même il n’y a pas d’autre ennemi. Je m’acharne dessus dans la mesure de mes moyens (…) mon sujet me pénètre.
Quand une fois on a baisé un cadavre au front, il vous en reste toujours un arrière goût de néant que rien n’efface.
Il s’est trouvé que mon organisation est un système ; le tout sans parti-pris de soi-même, par la pente des choses qui fait que l’ours habite les glaces, que le chameau marche sur le sable.
Je n’ai devant moi aucun autre horizon que celui qui m’entoure immédiatement. Ma vie est un rouage monté qui tourne régulièrement. Ce que je fais aujourd’hui, je le ferai demain, je l’ai fait hier. J’ai été le même homme il y a dix ans.
Si je n’avais dans la tête et au bout de ma plume une reine du XVème siècle , je serais totalement dégoûté de la vie et il y aurait longtemps qu’une balle m’aurait délivré de cette plaisanterie bouffonne qu’on appelle la vie.

mardi 16 mars 2010

F.-Machine (II)

Eh bien ! me voilà presque sorti des bancs, me voilà sur le point de choisir un état. Car il faut être un homme utile et prendre sa part du gâteau des rois en faisant du bien à l’humanité et en s’empiffrant d’argent le plus possible.


J’ai rêvé de gloire quand j’étais tout enfant, et maintenant je n’ai même plus l’orgueil de la médiocrité.


Quant à écrire, j’y ai totalement renoncé, je suis sûr que jamais, on ne verra mon nom imprimé.


Je serai donc bouche-trou dans la société, j’y remplirai ma place.


Connaissez-vous l’ennui ? non pas cet ennui commun, banal, qui provient de la fainéantise ou de la maladie, mais cet ennui moderne qui ronge l’homme dans les entrailles et, d’un être intelligent, fait une ombre qui marche, un fantôme qui pense. Ah ! comme je vous plains si cette lèpre-là vous est connue.


J’aime par-dessus tout la phrase nerveuse, substantielle, claire, au muscle saillant : j’aime les phrases mâles et non les phrases femelles comme celles de Lamartine fort souvent (…) mes livres de chevet sont Montaigne, Rabelais, Régnier, La Bruyère et Le Sage.


J’ai dit à la vie pratique un irrévocable adieu.

lundi 15 mars 2010

la S.A.S.A. (X)

Quand la littérature a un visage, elle est en péril, quand elle est masquée, que l’on ne peut reconnaître ses acteurs, elle est grande et forte. La littérature ne peut se faire qu’avec un masque. Elle ne peut exister que dans l’ombre.
Plus la S.A.S.A. a de membres et plus cela signifie que la Littérature dans la société est considérée. Quand la S.A.S.A. ne peut recruter, cela veut dire que la Littérature est dans la lumière et peut mourir. La S.A.S.A. est l’indicateur de bonne santé de la Littérature et de la Société.
La S.A.S.A a aidé le marquis de Sade, Isidore Ducasse, Maurice Blanchot, Salinger, Pynchon… Elle a créé Bolano pour mieux cacher d’autres.

bandit



"Car ce qu'il y a toujours, ce sont des montages. Féerie de montages. Réfléchir, c'est être en plein montage. (...) Car si illuminante que soit une idée, toujours elle entre dans un montage, se fait, s'organise par un montage, un montage dans les tâtonnements, et les incertitudes, ou des certitudes inexplicables, partielles ou globales, par attraction de ses semblables ou de ses contraires..."

la S.A.S.A. (IX)

La S.A.I.S.A.I. :

La S.A.S.A. est la branche française de l’Organisation, qui comporte une société par pays. Chaque Société ne peut enrôler que des écrivains nationaux. En France il y eut une exception, Walter Benjamin, mais son long séjour à Paris l’expliquait. Il existe une Société au dessus de toutes les sociétés : la S.A.I.S.A.I. (Société Anonyme Internationale des Sosies Anonymes Internationaux).Treize membres la composent. Le président est soit James Joyce, soit Cervantès. On parla d’accepter Dante, mais la résolution ne fut jamais prise. Le vice-président change tous les ans. Il est le président originaire du pays dont l’écrivain a été couronné du Prix Nobel l’année précédente. Les autres membres sont tirés au hasard.

dimanche 14 mars 2010

la S.A.S.A. (VIII)

1981 :

En 1981, la S.A.S.A connut une crise importante : le Président de la République nouvellement élu fut photographié par Gisèle Freund. Il s’ensuivit une série d’émissions et d’expositions pour présenter les œuvres de la photographe. Et l’on reconnut beaucoup des membres de la S.A.S.A à ce moment-là : Aragon, Benjamin… Ce dernier, petit homme timide fut anéanti par cette ressemblance découverte. Il supplia la S.A.S.A. de patienter, de ne pas l’exclure tout de suite, d’attendre, que les choses allaient se tasser, disait-il. Mais le règlement est le règlement, et faire une exception, c’était tuer encore plus vite la Société. Il nous quitta, le dos voûté. Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de lui. Pourtant il avait raison, on oublia bien vite la photographe, ses portraits et les écrivains qu’elle avait pris en photo.

samedi 13 mars 2010

la S.A.S.A. (VII)

Lautréamont :

On raconte qu’il existait une petite boîte pleine de photographies dans la chambre d’Isidore Ducasse. Elle fut trouvée par un voisin de l’écrivain deux jours après sa mort. Il la garda avec lui. Elle revint ensuite à la S.A.S.A qui comprit très vite l’intérêt qu’elle avait à la détruire. Cet écrivain ne devait pas avoir de visage.

we can be heroes



Pierre Reverdy

(1889-1960)



De ma vie, je n'aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre.

vendredi 12 mars 2010

lecture



"Gustave vit parader une armée, surveillée par des maquisards ; il vit ces troupes en maraude attaquer les forces officielles ; il vit des morts joncher le sol gorgé de sang ; il vit les représailles, les femmes et les enfants abattus, les villages brûlés ; il vit les prisons pestilentielles et assassines ; il vit les déportations, les exécutions, les pleurs et les cris de pitié ; il vit la déchéance et l'opprobre."

Jérôme Lafargue, Dans les ombres sylvestres, Quidam éditeur.

(et on peut lire ici la critique d'Antonio Werli)

we can be heroes


Brouiller les genres avec des pseudonymes.
Brouiller les genres pour la liberté.
Brouiller les genres contre l’hérédité.
Brouiller les genres pour aller vers l’altérité.

Une enfance qui n’est pas passée, qui ne passe pas ; mythe, nostalgie et force de rébellion.

« Il n’est d’autre amour que la passion de sa propre personne. »

S’inscrire dans une lignée qui sinue depuis Pascal, Rimbaud, Mallarmé, Nietzsche, Laforgue, Schwob, G. Palante, jusqu’à Breton et Artaud.

Est-ce un homme ? est-ce une femme ?
Est-ce une femme ? est-ce un homme ?

Cultiver toujours une position « ambivalente » qui lui assure, dans une tension assumée, une conscience lucide et libre.

Paris rompt avec Jersey.

La tête polie en galet.

Et ce ne seront pas moins de 400 photos.

Se faire la tête du père, de l’enfance, de l’aveugle, en anamorphose… ou la tête polie en galet.

Vie et rêve de M.

Un exotisme intérieur.

mercredi 10 mars 2010

we can be heroes




Mervyn Peake
(1911-1968)

"Le cycle de douze mois était achevé, et Titus venait d'entrer dans sa seconde année - une année qui, à peine entamée allait être le théâtre d'un déchaînement de violence dans l'air empoisonné de Gomenghast."

we can be heroes


Une étonnante précocité : maîtrise de l’allemand et de l’anglais dès l’âge de dix ans ; son premier article à l’âge de onze ans, lit Emmanuel Kant dans le texte, son oncle l’initie à François Villon et François Rabelais, il étudie la philologie et le sanskrit. Erudit, mais dédaigneux des programmes : il rate son baccalauréat, il abandonne ses deux grands projets poétiques (Faust et Prométhée), et détruit des milliers de vers qu’il avait jusqu’à présent rédigés.

Il fait des recherches sur la Rome Antique : ses bas-fonds, sa pègre et sa prostitution. Il fait des recherches sur l’argot : s’inspire de Lacenaire, de Vidocq, de Villon ; l’argot comme langue artificielle et codée, langue des coquillards, sa lanterne rouge.

Y avait un tapis-franc qu’était peint en rouge ;
Après la lourde y’avait une lanterne rouge.

Il s’installe dans un entresol encombré de livres, avec une armoire, une table, un divan-lit, donnant sur une cour obscure.
Il vit au milieu des livres, il s’inventait par les livres.

(On raconte que Thomas de Quincey déménageait à chaque fois que son appartement était plein de livres. Il fait de même.)

« Il lit ses contes dans sa petite chambre, d’un ton péremptoire, d’une voix blanche ; ses auditeurs demeurent sous le magnétisme du regard illuminant le front de ce gros petit homme, à la figure douce et poupine, virgulée par la moustache qu’il porte alors. »

Quand il est invité à manger chez des amis, il apporte son « plat à lui » : un livre anglais qu’il traduit devant eux. (Un livre de Stevenson, de Poe, de Whitman, de Defoe, de Twain)

« J’ai pour maîtresse une toute petite fille qui est bien bête, mais si gentiment. »
Minée par la tuberculose, elle meurt à 25 ans.
« et nous égoïstes, nous étions agacés par cette façon de souffrir si longtemps à cause d’une morte. »

Un mal mystérieux qui le ronge. Diversement diagnostiqué, il subit cinq opérations successives : il est comme un « chien vivisectionné ». La morphine comme seul palliatif. Et ensuite l’opium et l’éther.

Un héritier de Nerval et des Illuminés ? Un héritier de Flaubert et de Salammbô ?
Il est "l'expert", il est "celui qui sait".

Londres, Jersey, Paris, Uriage, Suez, Port-Saïd, Aden, Ceylan, l’Australie… les îles Samoa, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Suisse. Mais les voyages et les déplacements n’enlèvent pas la détresse physique.

« Il entre blanc comme un linge. »

Sur son lit de mort on ne parvient pas à lui fermer les yeux.

mardi 9 mars 2010

la S.A.S.A. (VI)

L’Académie Française :

En 1635, Richelieu fonda l’Académie Française. En 1637, les statuts et règlements furent définis par le Cardinal, réunissant ainsi un cercle de lettrés qui se retrouvaient auparavant de manière informelle. L’objectif principal était de fixer la langue française. Mais il s’agissait plutôt de déstabiliser la S.A.S.A. , dont le pouvoir et l’influence devenait une menace pour les Lettres Françaises et en particulier pour certains écrivains. Le Cardinal Richelieu savait très bien la nuisance que nous représentions et il voulut y mettre un frein. Il ne pouvait nous interdire directement ou nous faire arrêter, alors il créa l’Académie Française, où des écrivains pouvaient se montrer en plein jour et jouir de la lumière et de la reconnaissance publique. On se pressa pour y entrer. Mais aujourd’hui, qui se souvient encore des premiers Académiciens ? Ils ne sont pas reconnus, c’est certain, mais ils ne sont même plus connus. La lumière qu’ils recherchaient tant les a brulés et n’a laissé qu’un petit tas de cendres. Et aujourd’hui, nous nous félicitons, ou devrais-je dire, nous nous félicitions, d’avoir dans les rangs de la S.A.S.A. des sosies d’Académiciens. Leur lumière n’est rien, n’est plus rien. Et ce n’est pas nous qui avons réussi à ombrager leurs visages, mais eux-mêmes, qui ont réussi à s’effacer.

lundi 8 mars 2010

la S.A.S.A. (V)

Le cas Voltaire :

L’un des adversaires les plus farouche de la S.A.S.A. fut sans aucun doute Voltaire qui, le 30 mars 1778, faillit renverser complètement l’ombre et la lumière. L’écrivain, ce jour-là, rentrait à Paris après un long exil et bravant un interdit royal, demandé d’ailleurs par la S.A.S.A., sortit dans les rues de Paris. La foule l’attendait et l’acclamait. Il se rendit chez notre pire ennemi, l’Académie Française, puis à la Comédie Française où l’on jouait une de ses horribles tragédies. Ce lundi 30 mars, on applaudit le spectacle comme jamais on applaudit au théâtre et l’auteur fut porté en triomphe jusqu’à son carrosse qui fendit une foule en délire jusqu’à son domicile. « Jamais sans doute, en aucun temps lieu ni aucun lieu, un écrivain ne jouit d’une telle consécration populaire. » puis-je lire dans les notes relatives à cet événement. Cela se répéta quelques années plus tard, en 1791, lors du transfert des cendres de Voltaire au Panthéon. Même après sa mort, Voltaire tenta de renverser la S.A.S.A. Il était le héros et le héraut des écrivains de la lumière, qui pensent que la personne est plus importante que le texte, qui pensent qu’être reconnu dans la rue est un signe de qualité.

Le cas Hugo :

Le cas Hugo fut beaucoup plus inquiétant, car il était devenu une figure. A celle-ci, la S.A.S.A en fabriqua une autre qui fit oublier la première ou qui du moins la troubla. Ce vieux monsieur à la barbe blanche était devenu une figure nationale. Cela nous était insupportable et nous ne pouvions laisser faire : alors notre président à l’époque eut une idée de génie, mais vraiment de génie. Au Père Noël qui devenait de plus en plus populaire on donna les traits de l’auteur français : ainsi Victor Hugo, vieux monsieur à la barbe blanche, avec ses petits enfants à ses côtés se confondit peu à peu avec ce brave bonhomme distributeur de cadeaux.

dimanche 7 mars 2010

On peut être rêveuse & romantique...

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Dans ce carnet, là, j’écris : et je veux que tu le lises. Là, j’écris mes lectures, mes rêves et mes fantasmes. Là, j’écris ce qui me passe par la tête quand je pense à toi. Là, j’écris ce que j’imagine avec toi. Là, j’écris ce que je voudrais faire avec toi. Là, j’écris. Là, j’écris et tu liras : je veux que tu le lises. Là, j’écris ; et ce n’est que de l’écrit. Car, l’écrit est de la pensée : je pense ce que j’écris : j’écris ce que je pense.
J’écris, je pense : le goût de tes lèvres sur mes lèvres, le goût de ta langue sur mes lèvres, le goût de ton sexe sur mes lèvres. Le goût de mes lèvres sur tes lèvres, le goût de ma langue sur tes lèvres, le goût de ma peau sur tes lèvres, le goût de mon sexe sur tes lèvres.
J’écris, je pense : ton doigt sur mes lèvres: le goût de ton sexe sur mes lèvres. Un émerveillement qui dura 18 mois.
J’écris, je pense : un rêve de nudité : sans plus savoir ce qui va nous arriver.
Dans ce carnet, j’écris, là, ce que je lis : je lis & j’écris. J’écris & tu me lis. Me lis-tu ? Je continue.
J’écris, je pense : toi : nue, simplement nue, pubis rasé, devant moi qui regarde, assis dans le fauteuil, regarde, te regarde, nue, simplement nue, pubis rasé. Tu ne bouges pas, tu es là, nue, simplement nue, pubis rasé, et moi, assis, dans le fauteuil, ne bouge pas, te regarde, tu me regardes, tu es, nue, simplement nue, pubis rasé. On se regarde, on ne bouge pas, je ne bouge pas, tu ne bouges pas, nue, simplement nue, pubis rasé. Un léger frémissement de ta lèvre, mais pas plus, rien de plus, tu ne bouges pas, tu es là, devant moi, immobile, nue, simplement nue, pubis rasé. Je vois ta lèvre frémir, juste elle, légèrement, mais ne pas bouger, moi, toi, ne pas bouger, se regarder, ne pas bouger, moi, toi, nue, simplement nue, pubis rasé. Je pense à, je te regarde, à ta main, à elle, qui va bouger, ta main, à toi, nue, simplement nue, pubis rasé,
« Moi, je suis une rêveuse, une romantique.»
ta main qui va bouger, qui va aller vers le pubis rasé, ton pubis rasé, toi, simplement nue, nue. Tu penses à, me regarde, léger frémissement de la lèvre, à ma main, oui, qui va aller sur mon sexe, oui, et tu penses à, nue, simplement nue, que je vais, oui, me branler, devant toi, simplement nue, nue, pubis rasé. Je ne bouge pas, je te regarde, tu me regardes, tu ne bouges pas, on se regarde, on ne bouge pas.
« Moi, je suis une rêveuse, une romantique.»

J’écris, je pense : Ne pas attendre de, aller à l’essentiel : tout de suite : maintenant.

« Moi, je suis une rêveuse, une romantique.»
J’écris, je pense : Mais alors, là, tu m’expliqueras, comment tu peux rester rêveuse et romantique avec un sexe dans la bouche, un sexe dans les fesses. Mais alors, là, tu m’expliqueras comment tu peux rester rêveuse et romantique avec le foutre qui coule au bord de tes lèvres, avec le foutre qui coule le long de tes cuisses.
Dans ce carnet, là, j’écris ce qui me vient lorsque je pense à toi, t’écrivais-je. Là, j’écris ce que j’imagine avec toi, écrivais-je. Là, j’écris ce que voudrais faire avec toi, ai-je écrit – et je l’ai fait – l’ai écrit et l’ai pensé ; l’ai pensé et l’ai écrit.

2

Tu pensais à quoi quand j’écrivais que je t’imaginais. Tu t’imaginais comment en pensant que je pouvais bien t’imaginer. Pensais-tu seulement que je t’imaginais. Imaginais-tu que je pouvais penser t’imaginer nue, simplement nue, pubis rasé, devant moi, sans bouger, attendant que ta lèvre frémisse un peu pour que je, à mon tour, et que toi, tu, à ton tour, ta main, ma main, aillent là où je le pensais et là où tu l’imaginais. Y pensais-tu, avant de lire, là, ce que j’ai écrit. Pensais-tu que toi aussi tu aurais, comme moi, avec ta lèvre frémissante, envie de, ta main, la bouger, Pensais-tu que tu pouvais imaginer que ma main allait, elle, bouger. T’imaginais-tu, toi, devant moi, nue, simplement nue, pubis rasé, à attendre que l’autre, que moi, je bouge ma main, pour que ta main bouge ?
Mais oui on peut rester rêveuse et romantique avec un sexe, ton sexe, dans la bouche. Mais oui on peut rester rêveuse et romantique avec un sexe, ton sexe, dans les fesses. Mais oui on peut rester rêveuse et romantique avec du foutre, ton foutre, au bord des lèvres. Mais oui on peut rester rêveuse et romantique avec du foutre, ton foutre, qui coule le long des cuisses.

« Et du moment que tu m’embrasses », écris-tu, au dos de la feuille.

Rêveuse et romantique de la coulée blanchâtre, oui, ainsi que je t’imagine quand j’écris que je pense à toi, là dans ce carnet.

3

Je me branle. Tu te branles – j’espère – en lisant ce que j’ai écrit – en pensant à moi qui écris ce que j’imagine quand je pense, à toi, nue, simplement nue. Et penses-tu à moi, me branlant en écrivant ce que je pense avec toi ? Et m’imagines-tu me branlant en t’imaginant que je t’imagine te branlant.
Tu te branles je te regarde je te branle tu te regardes tu te branles je me branle tu me regardes tu me branles je me regarde tu me branles je me branle & je te regarde tu me branles & je te regarde tu te branles & tu me regardes je te branle & tu me regardes on se branle & on se regarde.
Et l’or de la lune coule sur ton ventre, ton sexe, tes fesses, tes cuisses, tes seins, tes lèvres, mon torse, mon ventre, mon sexe.


Tu essuies ta main sur mes lèvres, j’essuie ma main sur tes fesses. Tu essuies ta main sur ma joue, j’essuie ma main sur tes seins. Tu essuies ta main sur ma cuisse, j’essuie ma main sur ta joue. Tu essuies ta main sur mon torse, j’essuie ma main sur tes lèvres.
Je lèche tes seins, tes fesses, tes lèvres, ta joue.
Tu essuies ma main sur tes seins, tu essuies ma main sur tes fesses, tu essuies ma main sur ton sexe, tu essuies ma main sur ta joue, tu essuies ma main sur tes lèvres.
Je lèche tes seins, tes fesses, tes lèvres, ton sexe, ta joue.
Tu mets tes doigts dans ta bouche, tu mets tes doigts dans ma bouche, tu mets mes doigts dans ta bouche, tu mets mes doigts dans ma bouche, tu mets mes doigts dans ton sexe, tu mets tes doigts dans ton sexe.
« Moi, je suis une rêveuse, une romantique.»
Tu m’embrasses.

la S.A.S.A. (IV)

Un peu d’histoire :

Tout a commencé en Italie. Un groupe d’amis s’amusaient de leur ressemblance avec quelques auteurs antiques. Ils se rendaient une fois par mois au plus profond d’une forêt pour discuter. Lors de la Semaine Sainte de l’année 1300, Virgile, alors qu’il se rendait à la réunion mensuelle, rencontra un homme qui semblait chercher son chemin, dans la forêt. Un homme d’une trentaine d’années et qui semblait terrifié comme s’il s’était retrouvé nez à nez avec une louve, un lion peut être, ou pire un léopard. Virgile se dirigea vers lui pour le rassurer. Celui-ci lui dit qu’en cherchant une branche d’arbre pour la fête des Rameaux, il s’était perdu. Tout en disant cela l’inconnu dévisageait Virgile, puis recula, comme saisi d’effroi. Il s’écria : « Vous êtes Virgile ! » Celui-ci s’en amusa, n’osa démentir et décida de jouer de la confusion. Il proposa à l’inconnu de le suivre et l’amena au lieu de réunion de ses amis. L’inconnu rencontra  ainsi Homère, Horace, Ovide, Lucain, Aristote, Socrate, Platon, Euclide, Ptolémée, Avicienne, Galien et Hippocrate. Il reconnut chacun et les nomma un à un de leur nom. Cela amusa follement la petite confrérie qui joua le jeu. L’inconnu croyait être dans les Limbes. 
Mais vous connaissez la suite. Par contre, l’autre est moins connue.
Après le départ de l’inconnu, bouleversé, Virgile exposa à ses amis ses réflexions. Il leur dit que cela faisait maintenant cinq ans qu’ils se réunissaient, qu’ils se promenaient ensemble, voyageaient ensemble et que c’était la première fois qu’ils étaient reconnus. Les gloires de notre culture, dit-il, ne sont pas reconnus, connus, certes, mais pas reconnus. Nous sommes des sosies, oui, mais des sosies anonymes. On approuva ses dires. 

Ainsi naquit la Société Secrète des Sosies Anonymes qui deviendrait ensuite la Société Anonyme des Sosies Anonymes. 

« Connu, mais pas reconnu », en fut et en est toujours la devise.

vendredi 5 mars 2010

la S.A.S.A. (III)

Il fallut choisir un nouveau président, et un nouveau vice-président. Claude Simon était mort et Claude Mauriac avait été exclu. On pensa à Raymond Queneau, vieux, mais trois jours avant le vote, la télévision rediffusa le film de Louis Malle, Zazie dans le métro, précédé d’un documentaire de 30 minutes sur la vie de l’écrivain. En fait de présidence, ce fut son exclusion qui fut votée. Raymond Queneau, jeune, l’échappa belle, on ne le reconnaissait pas. Au final, Michel Leiris fut choisi comme président et Jean Giraudoux, comme vice-président. Nous prenions un risque avec Giraudoux, c’est certain. Mais plus personne ne se sentait à l’abri. Avec Michel Leiris, nous en courions moins. Pas d’adaptation cinématographique, pas de commémoration prévue, cela devait passer.
Gobineau demanda ce jour-là s’il pouvait se couper la moustache, pour être sûr de ne pas être reconnu. On ressortit l’article 55 qui stipule que les sosies ne doivent pas modifier leur physique, sous peine d’être exclus, puisqu’ils ne ressemblent plus.

jeudi 4 mars 2010

la S.A.S.A. (II)

Ce jour-là avait été une dure journée, une journée faste – sept exclusions. C’est-à-dire que dans le mois sept d’entre nous avaient été reconnus et qu’ils n’étaient plus des sosies d’écrivains anonymes, mais d’écrivains reconnus. Ils ne pouvaient rester avec nous.

Trois semaines auparavant ce terrible jour, le 7 juillet, un documentaire sur les écrivains du Nouveau Roman était passé à la télévision, à une heure de grande écoute, et pas sur une chaine culturelle ou du câble, non, sur la plus grande chaine nationale. Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute, Claude Ollier, Robert Pinget et Claude Mauriac n’étaient plus des anonymes, mais leurs visages qui s’étaient étalés une heure durant sur l’écran de la télévision les avaient mis soudain en plein jour. Dans la rue, on les reconnaissait et on leur signalait leur ressemblance avec ces écrivains que l’on avait pu voir la veille à la télévision. Claude Ollier en allant chercher son pain se fit interpeler par une cliente. Nathalie Sarraute par la caissière au supermarché, Samuel Beckett par son tailleur, Alain Robbe-Grillet par le vendeur de fenêtres de la rue dans laquelle il habite pourtant depuis 17 ans.

Claude Simon n’a pas supporté d’être exclu de la S.A.S.A. et d’être maintenant le sosie d’une personne médiatique. Samuel Beckett devait à son tour faire une tentative de suicide une semaine après la mort du Président. Il se rata, heureusement.

mercredi 3 mars 2010

la S.A.S.A. (I)


La S.A.S.A., Société Anonyme des Sosies Anonymes, ferma ses portes peu de temps après la mort de son Président : Claude Simon. Le suicide de Claude Simon n’est pas directement responsable de la dissolution de la S.A.S.A., il a simplement accéléré le processus.

Claude Simon s’est suicidé le 7 juillet 2008, à 12h30, d’une balle de pistolet dans la tête. Il ne laissa pas de mot pour expliquer son geste, mais nous en connaissons tous la raison.

Quarante minutes auparavant son geste, nous levions la séance mensuelle et le bilan n’était pas optimiste : nous avions dû procéder ce jour-là à sept exclusions. Cela s’était fait dans la douleur. Et quand nous nous sommes levés pour nous diriger vers la sortie du local qui nous sert de salle de réunion, l’ambiance était morose. Même Raymond Queneau (le jeune), pourtant habitué à nous faire rire avec ses nombreuses blagues et ses incroyables calembours n’avait pas le cœur à détendre l’atmosphère.

Nous étions dehors. Les sept exclus se tenaient ensemble. Il y avait Alain Robbe-Grillet, Claude Simon se tenait à côté de lui, les bras croisés, Claude Mauriac baissait la tête, Robert Pinget a allumé une cigarette, comme si c’était la dernière, Samuel Beckett le regardait, et n’osait lui en demander une, Nathalie Sarraute avait froid et avait les mains dans les poches de son manteau, quant à Claude Ollier, il les regardait.

Puis Claude Simon a dit : « Attendez-moi, j’ai oublié quelque chose dans la salle, je reviens tout de suite. »

Nous, nous n’osions rien dire, rien leur dire. Nous savions que nos mots ne seraient d’aucun réconfort.

Puis, nous avons entendu le coup de feu. Inutile de dire que nous nous sommes tous précipités à l’intérieur. C’est Samuel Beckett qui est arrivé en premier sur les lieux, c’est lui qui a les plus grandes jambes, il faut dire.

Il se tenait, raide, stupéfait, dans l’embrasure de la porte : une odeur de poudre se dégageait de la porte maintenant ouverte. Nous étions derrière lui.

Claude Simon était étendu, raide, mort, la tête éclatée. Samuel Beckett a ouvert la bouche, aucun son n’est sorti. Il s’est tourné vers Nathalie Sarraute et il a vomi. Elle n’a pas apprécié, c’est certain, mais elle n’a osé rien dire – en tout cas, pas tout de suite, car le lendemain elle a copieusement engueulé Samuel Beckett et le jour de l’enterrement, elle a refusé de se mettre à côté de lui, au cas ou il recommencerait à gerber, a-t-elle dit.