jeudi 31 juillet 2008

Roman policier-VI

Où le commissaire ne sait plus où il en est, lui aussi.


Les esprits malins s’immiscent en nous.
Lemmens


Il était écrasé dans son fauteuil, chez lui, et tout était si calme. Il se passa la main sur le visage. Il n’avait jamais cru aux signes et autres niaiseries de ce genre là. Il avait toujours fait preuve du plus grand rationalisme. Pas question de se laisser embrouiller l’esprit par on ne sait quelle superstition ou on ne sait quelle forme de surnaturel. Le fantastique c’est bon pour les romans ou les films, aimait il à dire à ses collègues dubitatifs devant certains faits. Les faits sont les faits et il faut s’en tenir aux faits. Il avait lu, un jour, dans un livre, laissé par son fils que « Le monde est tout ce qui arrive ; que le monde est l’ensemble des faits, non pas des choses ; que le monde est déterminé par les faits, ces faits étant la totalité des faits … ». Pendant un instant, il pensa que son fils préparait le concours d’inspecteur. Puis il remarqua le titre incompréhensible de l’ouvrage, et le nom de l’auteur, imprononçable ; et il se dit que non, il ne devait pas préparer le concours. Mais ces phrases lui restèrent en mémoire, comme si elles légitimaient ses positions professionnelles. Il aurait aimé citer ces lignes à ses collègues et justifier par la philosophie leur métier. Il avait peur de se ridiculiser devant ses hommes, passer pour quelqu’un qu’il n’est pas, paraître prétentieux… et puis il n’arrivait pas à se souvenir du nom de l’auteur, et il ne voulait pas être ridicule, même s’il y avait peu de chance qu’un de ses collègues connaissent l’auteur. Néanmoins il fallait être méfiant, car on embauchait n’importe qui aujourd’hui. Il avait eu sous ses ordres, il y a trois ans, un ancien professeur de Français. Et ce n’était pas une partie de plaisir que d’être avec quelqu’un qui passe son temps à citer Proust. 
Cependant il gardait en tête ces phrases comme pour se rappeler la grandeur de sa mission et l’absolue netteté de ses pensées dans toutes les situations.
Donc, même s’il avait toujours fait preuve d’un immense rationalisme, il devait admettre qu’aujourd’hui n’était pas un jour comme les autres, bien au contraire. Il décida de rejoindre son bureau… cela ne servait à rien de rester plus longtemps dans cette maison, elle ne reviendrait pas, en tout cas pas aujourd’hui, alors à quoi bon attendre comme un mollusque sur un rocher que sa femme rentre alors qu’elle ne compte pas rentrer, les femmes ne sont pas comme les marées, elles n’arrivent pas à l’heure prévue et indiquée. Le mieux était de retourner au bureau, de se remettre à la chasse à la gamine du maire, lui en coller une pour lui apprendre à ne pas obéir aux ordres de son père, de faire perdre son temps aux représentants de l’ordre, d’avoir mené son fils sur les chemins de la perdition. Elle la méritait sa claque.
Retourner au bureau ne fut pas simple, il ne suffisait pas de se dire j’y vais, il fallait que le corps suive, qu’il accepte à son tour d’y aller et ce n’était pas vraiment le cas. Mais pouvait-il continuer ainsi, aller d’échec en échec. Non, pas question, il était un homme un vrai un dur un pur pas question de baisser les bras en avant toutes et tous c’est la lutte finale – là il commençait à dérailler sec, il fallait s’arrêter, stop.

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